Facebook, qui vient d'annoncer qu'il allait désormais partager ses données avec des chaînes américaines, entre de plain-pied dans la bataille stratégique de la télévision sociale («social TV») où Twitter, qui s'apprête à faire son entrée en bourse, occupait largement le terrain jusqu'à présent.

Début septembre, Facebook a mis à disposition d'une poignée de médias anglo-saxons deux interfaces de programmation (API) qui permettent de diffuser en temps réel les conversations ayant lieu sur le réseau social autour d'un mot-clé (émission, participant, etc...), puis de les analyser et les mesurer pour savoir quels sujets font le plus réagir.

La chaîne d'informations CNN, l'émission Today Show sur NBC, le bouquet satellitaire britannique BSkyB (Sky News, Sky Sports...) et les sites d'informations en ligne Slate et Buzzfeed sont notamment partenaires de cette opération qui donne accès, sur Facebook, aux informations publiques et à des résultats privés agrégés de manière anonyme par sexe, âge ou localisation des utilisateurs.

Par ailleurs, le Wall Street Journal vient de publier un billet sur son blogue «Digits» expliquant que les quatre grands réseaux américains de télévision ABC, NBC, Fox et CBS allaient désormais recevoir toutes les semaines un rapport détaillant le nombre d'actions (commentaires ou partages) générées sur Facebook autour d'un programme et le nombre d'utilisateurs l'ayant commenté.

Ce mouvement «stratégique» de Facebook dans le domaine de la télévision sociale, soit les interactions entre la télévision et les réseaux sociaux, terrain traditionnellement occupé par Twitter, précède de peu l'introduction en bourse de la plateforme de micro-blogs qui revendique 200 millions d'utilisateurs actifs mensuels.

«Facebook, dans une logique de gros bras disant "je ne vais laisser personne toucher à l'innovation", décide, dans un timing rêvé, de rentrer sur ce marché-là et de rendre accessible toutes ces données qu'il n'exploitait pas jusqu'alors», explique à l'AFP Rémi Douine, fondateur de The Metrics Factory, agence spécialisée dans l'analyse et l'optimisation du partage social.

Affrontement

«Je dis stratégique car à chaque fois qu'ils se mettent à exploiter des données personnelles, ils font face à des problématiques liées à la vie privée. L'introduction en bourse de Twitter est un élément suffisamment stratégique de leur environnement concurrentiel» pour qu'ils décident de se lancer, a-t-il ajouté, estimant que le marché publicitaire, les téléspectateurs et les médias étaient désormais «mûrs».

Car derrière cet affrontement, se joue une lutte d'influence pour capter les usages des téléspectateurs et les revenus de la publicité.

Mi-juin, suite au rachat de Bluefin Labs, spécialiste du «buzz» sur les programmes télé, Twitter a présenté son outil publicitaire qui permet aux annonceurs de cibler les personnes parlant d'une émission de télé qu'ils regardent.

«Jusqu'à maintenant, il n'y a pas eu le même engouement pour Facebook dans le domaine de la télévision sociale car il n'était pas suffisamment en temps réel pour une expérience enrichie et ses données n'étaient pas publiques. C'était par cercles d'amis que les informations se propageaient», estime pour sa part Sébastien Lefebvre, PDG et fondateur de Mesagraph, société d'analyse des réseaux sociaux pour les médias.

«Aujourd'hui, il ne suffit pas de dire "j'ouvre mes données aux network américains" pour que la magie opère. Les chaînes de télé vont chercher à amplifier le phénomène là où il se passe. Elles n'ont aucun intérêt à choisir l'un ou l'autre. Mais si Facebook, qui a beaucoup plus d'utilisateurs (1,2 milliard), apporte une expérience supplémentaire à l'utilisateur, c'est sûr que ça va représenter un problème pour Twitter», a-t-il ajouté, jugeant néanmoins que «Facebook n'a encore rien montré».

«Le combat s'annonce rude», a conclu Sébastien Lefebvre.

D'autant que des partenariats similaires pourraient se nouer très prochainement entre Facebook et des médias français.

«Nous sommes impatients de pouvoir mettre en oeuvre ces innovations avec nos partenaires médias en France. Nous aurons notamment l'occasion d'en discuter avec eux lors du prochain Mipcom (Marché international des contenus audiovisuels, NDLR) à Cannes, début octobre», a déclaré à ce sujet Amina Belghiti, directrice des partenariats de Facebook pour l'Europe du Sud et les nouveaux marchés.