Les États membres de l'Union européenne ont retoqué jeudi à Luxembourg un projet de réglementation pour renforcer la protection des données face à l'essor de l'internet car ils l'ont jugé trop pénalisant pour les petites entreprises et trop flou pour les citoyens.

La plupart des ministres de la Justice ont émis de sérieuses réserves sur les propositions de compromis présentées par la présidence irlandaise et ruiné les espoirs de la commissaire Viviane Reding d'afficher un succès rapide sur ce sujet présenté comme la priorité de son mandat.

Parmi les plus hostiles au projet, le Royaume-Uni et les Pays-Bas ont critiqué les coûts que la réforme ferait porter sur les PME, «et pas seulement sur Facebook ou Google», a argué le secrétaire d'État britannique à la Justice, Chris Grayling. «Nous ne devons pas avancer de façon prématurée», a-t-il averti.

Son homologue néerlandais Fredrik Teeven a déploré le coût des charges administratives provoqué par ce projet et l'a évalué pour son pays à 1,1 milliard d'euro par an.

«Nous devons trouver la bonne mesure entre le niveau de protection de la vie privée et la définition des intérêts économiques», a pour sa part souhaité la ministre française Christiane Taubira.

La France exige un «consentement explicite» des individus au traitement de leurs données par les entreprises publiques ou privées, et pas seulement un consentement «non ambigu», comme le propose Dublin.

«Ne rien dire ce n'est pas la même chose que dire oui», a-t-elle soutenu. Un argument partagé par son homologue italienne Anna Maria Cancellieri et par la grande majorité des autres délégations.

La plupart des ministres ont salué le travail accompli par leur collègue irlandais Alan Shatter qui s'est beaucoup investi pour tenter d'arracher un accord et loué, comme Mme Taubira, «les progrès accomplis sur un texte complexe avec des enjeux considérables».

Mais ils ont ensuite réclamé la poursuite des travaux techniques pour parvenir à un équilibre satisfaisant.

«L'objectif final se rapproche, mais il reste encore beaucoup à faire», a résumé la ministre italienne.

«Le document doit être amendé, des améliorations apportées et des éléments techniques modifiés. C'est un peu prématuré d'annoncer un soutien général», a averti le secrétaire d'État allemand Ole Schroeder.

Mme Reding a présenté début 2012 une proposition de législation imposant aux grands groupes de l'Internet d'obtenir le consentement préalable des personnes pour l'utilisation de leurs données personnelles, sous peine d'amendes. La disposition phare consiste à introduire un «droit à l'oubli numérique» obligeant les réseaux sociaux à supprimer les données personnelles, photographies ou autres, des utilisateurs qui le demanderont.

Les entreprises concernées exercent un fort lobbying pour tenter d'atténuer cette mesure emblématique.

La commissaire s'est dit en ligne avec les demandes de la France et de l'Italie sur le consentement explicite. «C'est essentiel pour la confiance», a-t-elle affirmé.

«Ma ligne rouge c'est mon refus d'un niveau de protection inférieur à celui assuré par la législation européenne de 1995», a-t-elle averti.

«Certains ministres continuent d'accorder plus d'importance à d'autres intérêts», a-t-elle déploré.

«S'il y a une volonté d'aller de l'avant, un accord sera trouvé avant la fin de mon mandat» de commissaire, à l'automne 2014, a-t-elle assuré à l'AFP lors de la conférence de presse au terme de la réunion.

«Il faut parvenir à un accord. Je ne sais pas si on y parviendra, mais il faut tout tenter pour y parvenir», a pour sa part soutenu Mme Taubira lors d'un entretien avec l'AFP.

«Avec internet, on a des abus et des attaques contre la vie privée qui dépassent le territoire national», a-t-elle rappelé.

«Il faut arriver à coordonner des systèmes juridiques très divers, des conceptions des droits et des libertés assez disparates et le fait que l'on a pas tous la même conception du niveau de protection des citoyens», a-t-elle expliqué.