Il aura fallu des dizaines de volontaires et six mois à s'user les yeux sur de vieilles cartes mais, grâce à un groupe d'internautes, Luo Gang a pu finalement retrouver sa famille, et le village où il avait été enlevé 23 ans plus tôt.

En Chine, la recherche des enfants disparus - souvent de jeunes garçons enlevés par des trafiquants pour nourrir le désir d'héritiers, exacerbé par la politique de l'enfant unique - se déplace vers le cyberespace. Les familles désespérées se tournent vers les sites spécialisés et les réseaux sociaux.

Kidnappé en 1990 à l'âge de cinq ans dans la province du Sichuan (sud-ouest) et envoyé au Fujian, sur la côte est, Luo a pu détailler les quelques souvenirs d'enfance qu'il lui restait sur le site «Bébé, reviens-nous».

S'en est suivie une vaste opération de «recherche participative» sur le web: «Luo Gang a regardé la carte satellite qu('un volontaire) avait fait circuler en ligne... et a vite découvert un endroit qui ressemblait beaucoup à chez lui, près du village de Yaojia», raconte un membre du site sur son compte.

Pareilles réussites restent exceptionnelles, mais les Chinois, qui disent recevoir peu d'aide des autorités, ne voient pas d'autre solution. «C'est mieux que rien», dit Hong Peiping, une ouvrière du Fujian.

Son fils de six ans a disparu en 2009. Comme d'autres parents, elle trouve que la police ne fait pas grand-chose pour retrouver son fils: «Ils ont seulement noté sa description physique, quels vêtements il portait et nous ont laissés le chercher nous-mêmes.»

Le frère de Hong lui a donné un ordinateur pour publier la description de leur fils Yang Weixin et s'unir à d'autres parents pour des recherches communes.

«Beaucoup d'amis sur internet nous parlent et nous réconfortent. Ils nous encouragent à ne pas lâcher, à continuer à vivre, à ne pas nous effondrer, pour que notre fils ait toujours un foyer qu'il puisse retrouver.»

Les estimations fiables du nombre d'enfants enlevés en Chine sont rares. En décembre dernier, selon l'agence officielle Chine Nouvelle, les autorités avaient libéré 54 000 mineurs depuis 2009 et démantelé 11 000 réseaux.

Dans son dernier rapport annuel sur les droits de l'homme, le département d'État américain avance le chiffre de 20 000 enfants chinois kidnappés chaque année pour l'adoption illégale.

Dans un autre rapport, Washington affirmait l'an dernier que la Chine «ne fournit pas d'efforts conséquents» pour mettre fin au trafic.

Du coup, les parents se tournent vers les forums et les réseaux sociaux pour exploiter le potentiel des 560 millions d'internautes chinois, la plus importante communauté au monde.

Sur Weibo, le Twitter chinois, le compte spécialisé dans la recherche d'enfants est suivi par 220 000 internautes. Plus de 20 000 personnes ont publié des photos de nouveau-nés aux joues roses, accompagnées de descriptions sur «Bébé reviens-nous». Mais beaucoup de ces clichés sont souvent trop anciens.

Une famille de Chongqing (sud-ouest) tente de retrouver sa fille disparue il y a 23 ans: «Elle ne se souvient sans doute plus du nom des membres de sa famille, mais elle se rappelle peut-être le nom de sa soeur préférée, Li Zhenggui. Elle se souvient peut-être aussi que sa mère est un peu sourde».

Inversement, des adultes mettent leur photo en ligne, à la recherche d'une famille perdue dans l'enfance. Du Fusheng est l'un deux: disparu à neuf mois, il a aujourd'hui passé la cinquantaine.

Pour Luo, ces recherches ont fini par payer. Le jeune homme a fouillé sa mémoire pour partager quelques détails avec les volontaires: un pont, une rivière et, sur le lieu de son enlèvement, la route fraîchement repavée.

Les internautes ont cherché les routes repavées à l'époque, isolé des villages possibles, comparés à ceux où des disparitions étaient déclarées. Après nombre d'impasses, ils ont découvert la bonne famille.

«Merci aux volontaires qui ont aidé Luo Yang à rentrer chez lui», lit-on sur le compte sur «Bébé reviens-nous».

«Et merci à tous nos amis en ligne, dont nous ignorons les noms.»