«Les gastroblogues sont du bouche à oreille gonflé aux stéroïdes»: en Asie, où le paysage culinaire est souvent formé d'étals informels et de restaurateurs ambulants, les blogues gastronomiques ont permis une démocratisation de la critique au bénéfice des plus petits.

«Le nombre de critiques de restaurants est limité par quelques pages par semaine dans la presse. Les petits restaurants en particulier adorent les gastroblogueurs car nombre d'entre eux ne pourraient jamais avoir accès à une critique dans les journaux», explique le gastroblogueur australien Thang Ngo.

Les «flogues» (mot anglais pour «food blogues», ou blogues sur la gastronomie) permettent ainsi une «démocratisation des critiques», estime-t-il.

Ainsi en Malaisie, un de ces nombreux pays d'Asie où le paysage gastronomique est dominé par des étals installés au bord des rues ou des cafés informels en plein air, les gastroblogues sont devenus le passage obligé avant d'aller se brûler la langue sur un bol de soupe de nouilles brûlante ou un curry épicé.

«Les gens ne font plus leur prière avant un repas. Aujourd'hui, ils prennent des photos» pour les diffuser sur les blogues, souligne Nazeen Koonda, directeur marketing de Time Out Malaysia, bouture locale du magazine éponyme né à Londres.

«Les gastroblogs sont du bouche à oreille gonflé aux stéroïdes», résume Lionel Lau, cofondateur de «Des Gourmand», une chaîne de restaurants en Malaisie.

Janice Tan en sait quelque chose: elle a ouvert en 2009 à Kuala Lumpur son premier «Ninja Joe», spécialisé dans la restauration rapide à base de porc. Le succès a été fulgurant et l'entreprise est devenue une petite chaîne, avec déjà cinq sites.

La recette du succès, selon Mme Tan: les blogues. Car les médias traditionnels ont évité de parler de ses hamburgers au porc, un sujet délicat dans la Malaisie majoritairement musulmane. Mais les blogues ont fait le buzz.

«Nous ne les avons pas invités. Ils sont venus tout seuls. Plus de 130 blogues ont parlé de nous», explique-t-elle, se félicitant de n'avoir jamais dû payer de publicité.

Une réputation en un clic

Les gastroblogs peuvent ainsi se transformer en «super-blogues», comme on les appelle en Corée du Sud: des blogues consultés quotidiennement par des dizaines de milliers de visiteurs et qui peuvent en quelques clics faire ou défaire la réputation d'un restaurant.

L'un des meilleurs exemples en est «ladyironchef.com» du Singapourien Brad Lau. Le site a reçu 1,5 million de visiteurs en décembre.

Mais l'influence grandissante des gastroblogues a fait naître une pratique de plus en plus répandue qui consiste à payer pour s'assurer des échos positifs.

À Singapour, les restaurants débourseraient jusqu'à 2000 dollars de Singapour (1220 euros) en échange d'une critique favorable, selon des blogueurs.

Lee Khang Yi, journaliste gastronomique au Malay Mail, un journal de Kuala Lumpur, estime qu'un blogueur peut gagner entre 75 et 380 euros par critique favorable.

Tony Hong, un acteur sud-coréen à la tête de plusieurs restaurants en vue, va même plus loin: il a accusé en 2011 un blogue populaire de demander 85 euros par critique positive.

«On a refusé et le nombre de commentaires défavorables a explosé», raconte M. Hong.

Mais ces pratiques risquent d'avoir un effet boomerang sur des blogs dont la popularité reposait sur leur indépendance et leur intérêt pour de petits établissements hors des sentiers battus.

«Il y a cinq ans, on allait consulter les blogues pour trouver quelque chose de différent des journaux. Mais maintenant, quelle est la différence?», regrette M. Lee, lui-même un ancien blogueur.