La surenchère de messages antisémites sur Twitter ces dernières semaines est le reflet d'une libération de la parole raciste qui s'exprime plus facilement sur le web, selon associations et experts, qui déplorent que la modération ait tant de mal à s'imposer.

unbonjuif, unjuifmort, unarabemort, unnoirmort... depuis début octobre les hashtags ou mot-clés se déclinent, proliférant à une vitesse vertigineuse sur le réseau social, poussant les associations antiracistes à engager un bras fer avec l'entreprise américaine pour obtenir le retrait des messages.

«Il y a eu un déferlement aïgu depuis quelques semaines», déplore Pierre Mairat, co-président du Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples (Mrap), qui est au fait du problème depuis longtemps mais admet que les associations sont «débordées».

Les extrémistes ont une «longueur d'avance» et les réseaux sociaux sont pour eux de véritables «boulevards», reconnaissent les associations.

Des internautes pensent pouvoir «démultiplier à l'envi des messages de haine» estimant qu'en étant «derrière leur écran leur anonymat est préservé», juge Alain Jakubowicz, le président de la Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme (Licra).

Les associations pointent le laisser-faire de la société: pour Aline Le Bail-Kremer, porte-parole de SOS Racisme, il existe une «étrange tolérance» autour de ces questions.

«Pourquoi est-il si simple d'empêcher la propagation d'images pédophiles sur les réseaux sociaux mais quand on explique comment gazer les juifs alors là tout devient trop compliqué», s'interroge-t-elle.

Elle met en garde contre ces appels aux meurtres susceptibles d'«entraîner des passages à l'acte».

Un «tournant»

D'autant plus que Twitter est un vecteur redoutable: la propagation des messages est ultra-rapide et ils peuvent être démultipliés par le phénomène de reproduction des tweets à l'infini.

Or, la France compte maintenant entre 6 et 7 millions d'utilisateurs du réseau.

Twitter fait ainsi face à une multitude de réclamations à travers le monde.

En France, après l'apparition le 10 octobre du hashtag unbonjuif, l'Union des étudiants juifs de France (UEJF) lui a demandé de retirer les messages les plus antisémites.

Mais plusieurs jours après, aucun message n'a été effacé malgré les listes fournies par l'association.

Twitter se borne à rappeler qu'il ne fait «pas de modération de contenu», mais se dit prêt à bloquer «certains contenus» si la demande émane des «autorités compétentes» d'un pays.

Pour Jérémie Mani, président de Netino, société spécialisée dans la modération sur les réseaux sociaux, c'est un «tournant».

«Si Twitter commence à enlever des messages antisémites, ils ne pourront jamais faire face à toutes les demandes qui vont leur être faites».

«Ce type de scandales risque de se multiplier jusqu'au clash final», ajoute-t-il rappelant le compte néo-nazi que Twitter a accepté de fermer en Allemagne.

Aujourd'hui, «je ne vois pas comment Twitter peut échapper à notre loi», estime Merav Griguer, avocate d'un cabinet spécialisé dans les nouvelles technologies.

«Même s'ils ne font pas de modération a priori, ils se doivent de retirer a posteriori les contenus illicites qui leur sont signalés».

Pour les spécialistes, un autre levier existe: la poursuite des auteurs des messages racistes, comme cela se pratique au Royaume-Uni depuis peu.

«Les gens n'ont pas le sentiment d'enfreindre la loi, seule l'arrivée des premières jurisprudences permettra aux gens de prendre conscience de la gravité des faits», explique Mme Griguer.

La semaine dernière, la garde de Sceaux Christiane Taubira avait rappelé que ces actes bien «réels», même s'ils utilisent un «canal virtuel», étaient punis par la loi.

Mais jusqu'ici ni les associations, ni le ministère public n'ont engagé en France de poursuites.