Qu'elle soit avérée ou pas, la fuite de messages privés sur Facebook a suscité un mouvement de panique collectif qui illustre un phénomène d'emballement, incontrôlable et parfois irraisonné, mais compréhensible vu l'importance des réseaux sociaux dans le quotidien de chacun.

À la suite d'une information diffusée lundi par le quotidien gratuit Métro, immédiatement reprise par la majorité des médias, des abonnés français de Facebook ont inondé en quelques heures le web et les réseaux sociaux de témoignages affirmant que des messages privés datant d'avant 2009 apparaissaient par erreur sur leur profil public.

Facebook s'est défendu de son côté de toute «atteinte à la vie privée» et affirme que les publications visées sont «en réalité d'anciens messages postés sur les murs, qui ont toujours été visibles sur les profils des utilisateurs».

«Les médias ont une grosse part de responsabilité, les journalistes veulent concurrencer l'internet et être à la pointe de l'info, mais ce n'est plus eux qui y sont, c'est Twitter, on ne peut pas faire plus rapide», résume à l'AFP Éric Delcroix, expert en médias sociaux.

Il note que, au final, ce sont «des blogueurs qui ont réagi pour relativiser le problème, pas des journalistes» et met ainsi en lumière le phénomène d'autorégulation propre à l'écosystème internet.

«Ce qui est frappant, c'est la réaction des utilisateurs et l'importance que la vie numérique a prise dans le quotidien des Français», souligne pour sa part Jean-Marc Royer, fondateur de Netino, société qui «modère» les pages Facebook d'entreprises et d'administrations, dont celle de l'Élysée.

Mais seloon Olivier Ertzscheid, universitaire spécialiste de l'internet, le plus «fascinant ou inquiétant» dans ce phénomène est que Facebook, à lui seul et «en moins de huit ans d'existence, soit capable de modifier aussi vite et à ce point les représentations culturelles et sociétales, le "vivre-ensemble" de la moitié de la planète connectée».

«Effet de meute»

Ce maître de conférence à Nantes parle également du problème de «topologie» et de vraie-fausse proximité que génère inévitablement une plateforme sociale à laquelle adhèrent près de 1 milliard de personnes dans le monde.

«Ces utilisateurs ne sont pas répartis dans une mégalopole, mais tous entassés dans le même immeuble. Du coup, ils deviennent tous rapidement voisins. Et entre voisins, sur Facebook comme dans la vie réelle, les rumeurs et les infos circulent très, très vite», explique-t-il.

Mais Olivier Ertzscheid voit plutôt comme une bonne chose «l'excès de zèle et de prudence» constaté depuis 48 heures chez les utilisateurs de Facebook: «Leur sensibilisation à l'importance de la vie privée et les fréquents dérapages de Facebook en la matière font que cette alerte ne me semble pas irraisonnée.»

«La moindre publication peut prendre des proportions considérables. Il y a un effet d'auditoire: quand on a dit quelque chose à des milliers de personnes, revenir sur ses propos est plus compliqué, certains vont même jusqu'à en rajouter pour ne pas perdre la face», renchérit pour sa part Jean-Marc Royer.

Le fondateur de la société Netino, qui traite plus de 2 millions de publications par mois sur les réseaux sociaux, évoque aussi «l'effet de meute, où on se monte la tête les uns les autres, et on en arrive très vite à dire: "C'est un scandale!"»

«Ce que montre cette affaire, c'est l'évolution de notre perception de la privauté, de ce qui relève du public et du privé. Pour la plupart des utilisateurs concernés par ce bogue, des messages postés publiquement il y a trois ou quatre ans leur semblent aujourd'hui relever de la sphère privée», ajoute Olivier Ertzscheid.

Facebook, et les réseaux sociaux en général, «modifient nombre des codes explicites ou implicites de la communication et des relations interpersonnelles: on parle à des gens même quand ils ne sont pas là, ce que l'on dit ne s'efface jamais, etc.», conclut-il.