On dit qu'il s'agit de la première campagne 2.0 de l'histoire électorale du Québec. Mais est-ce vraiment le cas?

Cette fois, contrairement aux élections de 2008, tous les partis politiques sont présents sur les réseaux sociaux. Cette semaine, la firme Adviso a évalué à 335 le nombre de candidats qui ont un compte Twitter, avec une moyenne de 1126 abonnés chacun. C'est le Parti québécois qui compte le plus d'abonnés: environ 158 000 quand on additionne les comptes de tous ses candidats et celui du parti. Le candidat le plus populaire, tous partis confondus, est Amir Khadir, de Québec solidaire, avec environ 33 000 abonnés. Les principaux partis sont également présents sur Facebook, Instagram et YouTube. Mais est-ce qu'on peut parler pour autant d'une véritable campagne 2.0?

«Le thème 2.0 est un peu surfait, estime André A. Lafrance, professeur au Département de communication de l'Université de Montréal. La campagne actuelle demeure une campagne de mass media: ce sont eux qui diffusent l'information, et les médias sociaux (ce que j'appelle les self media) multiplient leur portée. J'ajouterais que les médias sociaux forcent les médias traditionnels à se renouveler et à se surpasser, et ça, c'est intéressant.»

Barack Obama

La référence en matière de campagne 2.0 est bien entendu celle de Barack Obama en 2008. C'est devenu un classique, un cas qu'on analyse dans les grandes conférences (au moins trois ateliers lui ont été consacrés à la dernière conférence SXSW en mars dernier).

La campagne Obama avait débuté modestement sur le site MySpace, mais s'était étendue par la suite à l'aide des réseaux sociaux. Grâce aux banques de données, l'équipe du candidat démocrate avait réussi à cibler les indécis et à récolter beaucoup d'argent (autour de 30 millions) grâce au travail de bénévoles sur le terrain. Le courriel, les messages texte et les applications pour téléphone intelligent avaient permis de bâtir dans tout le pays un réseau de militants d'une efficacité redoutable.

«Pour que la campagne québécoise soit une véritable campagne 2.0, il faudrait que les citoyens soient moins passifs, note le professeur André A. Lafrance. Or, nous sommes dans une démocratie de consommation, une démocratie de marketing où les gens attendent qu'on leur livre le message, l'information. Les gens ne lisent pas le manuel d'instructions quand ils achètent un nouvel appareil, alors ils lisent encore moins le programme des partis politiques. Dans ce contexte, les réseaux sociaux ne sont pas utilisés par les électeurs pour aller chercher de l'information. Ce sont les partis politiques qui la diffusent et les médias qui la relaient. Quant aux candidats, ils utilisent surtout Twitter et Facebook pour se donner une image sympathique.»

Comme le professeur Lafrance, Mario Asselin, candidat de la CAQ dans Taschereau et vieux routier du Web, estime lui aussi que la campagne actuelle n'est pas véritablement 2.0. Selon lui, toutes proportions gardées, on est loin des initiatives expérimentées durant la première campagne d'Obama. «L'équipe d'Obama avait des banques de données bien nourries qui lui permettaient de communiquer avec des publics segmentés, note M. Asselin. À partir des codes postaux, ils pouvaient par exemple envoyer une missive sur le port d'armes dans un secteur géographique touché par ces questions. On n'a pas ce genre d'initiative, ici. Autre exemple que j'ai vu en Australie: un électeur assiste à une assemblée politique. On lui donne un émetteur relié aux paramètres de sa page Facebook. À la fin de l'assemblée, selon ce qu'il a pensé des propos entendus, on le dirigera vers la porte A ou B. S'il a aimé les propos, le discours ou la vidéo du candidat en question s'affichera automatiquement sur sa page Facebook. On est rendu dans quelque chose de très sophistiqué.»

Fait intéressant, ce n'est pas seulement une question de gros sous qui empêche les partis politiques québécois d'utiliser les réseaux sociaux de façon aussi pointue. Il y a aussi des obstacles techniques. «La largeur de la bande haute vitesse n'est pas à la hauteur et ne permet pas ce type d'utilisation, observe Mario Asselin. C'est d'ailleurs assez symptomatique de l'intérêt qu'on porte à ces questions au Québec. En Corée, par exemple, le réseau est 100 fois plus rapide. Ici, on accuse un véritable retard.»