Nathalie Blanchard n'aura pas à témoigner en cour pour prouver qu'elle était toujours en dépression lorsqu'elle a publié sur internet des déclarations et des photos d'elle en train de faire sur la fête, notamment sur une plage de Floride.

En novembre 2009, la superviseure à l'usine IBM de Bromont avait vu ses prestations de congé de maladie être interrompues par son assureur, Manuvie. Indignée, la femme de 31 ans a poursuivi son assureur et son employeur, affirmant que l'utilisation de ces images captées sur le site Facebook était une intrusion dans sa vie privée et ne suffisait pas à mettre un terme à ses indemnités.

Son institution financière, Desjardins, était aussi visée par la poursuite, car Mme Blanchard s'était vue dans l'impossibilité de continuer de faire ses paiements d'hypothèque.

Or, le procès n'aura pas lieu puisque les quatre parties impliquées en sont arrivées à une entente à l'amiable, annulant un procès de sept jours qui devait s'amorcer hier. Comme c'est habituellement le cas en Cour civile, les termes de l'accord n'ont pas été dévoilés, mais toutes les parties en sont satisfaites, indique l'avocat de Mme Blanchard. Surtout sa cliente.

«Elle est soulagée que ce soit terminé, dit Thomas Lavin, joint hier. C'était dur pour elle de mener un combat contre trois compagnies aux ressources quasiment illimitées. Les entreprises sont souvent sans coeur.»

Double défi

Les parties se sont entendues au terme d'une journée entière de conférence de règlement à l'amiable survenue au début décembre devant la juge Suzanne Mireault, au palais de justice de Granby.

Dans cette affaire, le défi de Mme Blanchard était double, dit Me Lavin: dénoncer de telles pratiques de la part de compagnies d'assurances et sensibiliser les utilisateurs d'internet, en particulier des réseaux sociaux, aux dangers de trop dévoiler sa vie privée sur le web.

«Elle ne voulait pas que ça arrive à d'autres personnes, dit Me Lavin. En dépression, les gens sont souvent vulnérables.»

Si l'importante médiatisation de ce litige, en 2009, a permis d'alerter les internautes, Me Lavin doute que les entreprises cessent de scruter le cyberespace à la recherche d'informations sur leurs employés.

«Il n'y aura pas d'impact de ce côté-là puisqu'il n'y a pas eu de jugement», rappelle l'avocat. Me Lavin estime toutefois que sa cliente a gagné son pari. «Elle a prouvé qu'elle était capable de défendre ses principes et de signaler une situation. La bataille sera légèrement plus facile pour ceux qui vont suivre.»

Les photos litigieuses montraient notamment Mme Blanchard, qui disait souffrir d'insomnie et de crises de panique, sur une plage de Floride et en train de faire la fête avec des danseurs nus lors de son anniversaire. La Granbyenne affirmait à l'époque que son médecin lui avait suggéré un voyage dans le Sud, et qu'elle n'était pas pour mettre des photos d'elle déprimée sur le populaire site de réseautage.

«Je ne vais pas mettre des photos de moi qui pleure sur Facebook!, disait-elle à La Voix de l'Est en novembre 2009. Je suis malade et je n'ai pas besoin que tout le monde le sache.»

«Le miroir de la société»

Elle estime aujourd'hui qu'une loi devrait régir la façon dont les photos diffusées sur internet peuvent être utilisées. «Pour l'instant, il n'y a rien d'établi», mentionne Mme Blanchard.

L'employée d'IBM se dit aujourd'hui plus prudente dans ce qu'elle publie sur sa page Facebook. «Je fais attention à ce que je dis, je garde mes pensées pour moi», dit Mme Blanchard, qui prend toujours des médicaments contre la dépression et a recommencé à travailler pour le géant de l'informatique en mai dernier.

Cette histoire démontre que les maladies mentales sont toujours taboues et incomprises. «La société n'accepte pas la dépression comme une maladie mentale, alors les gens ont honte de ça, ils essaient de le cacher, dit Me Lavin. Et les compagnies sont le miroir de la société.»

Les porte-parole d'IBM, Manuvie et Desjardins n'ont pas rappelé La Voix de l'Est, hier, tout comme les avocats qui ont représenté ces entreprises dans ce litige.