Plus que toute autre drogue, le cyberespace est présentement le plus accessible des paradis artificiels. Tous les jours, grâce à notre portable, on s'y enferme. Là, tout nous est rendu facile et merveilleux. On y retrouve transformées sous forme numérique à peu près toutes les sphères de l'activité humaine.

Évidemment, pareille numérisation ne va pas sans modifier beaucoup de nos comportements. C'est notamment le cas avec les valeurs sociales. L'amitié en est un bon exemple: alors qu'autrefois, l'amitié était un partage de sentiments entre deux individus, il est devenu aujourd'hui, sous l'influence d'un réseau social comme Facebook, un partage d'opinions. Il y a eu glissement de sens: puisque le partage de sentiments entre deux individus n'est pas calculable avec précision par un ordinateur, le partage d'opinions en groupe a pris le dessus.  

C'est ainsi que ce qu'on appelle faussement sur ces réseaux unami n'est en réalité qu'uncamarade. Autrefois, l'amitié était une valeur importante. L'ami pouvait partager des opinions tout à fait différentes de nous que cela n'entravait nullement notre amitié, celle-ci se voulant toujours gratuite et sans nécessaire réciprocité.  

Or, avec l'arrivée de ces réseaux, numérisation oblige, tous nos liens d'amitié sont étroitement mesurés et calculés. Pour maintenir cette frêle amitié en place, nous n'avons donc pas le choix: il faut être hyperactifs et, presque tous les jours, participer fébrilement aux dialogues dans notre groupe d'amis.  

Et, encore plus que pour l'amitié devenue simple camaraderie, ce phénomène de dissolution du réel est observable avec un autre des grands sentiments humains: l'amour. L'amour d'autrefois, celui avec un grand A, s'est, lui aussi, vu passablement transformé à travers la popularité des sites de rencontres internet. Il s'est métamorphosé en un amour passager, un amour où il s'agit moins d'aimer intensément que d'accumuler le plus d'amours possibles.  

L'époque des coeurs brisés est bel et bien révolue. En ne s'engageant jamais à fond dans une relation, on évite de la briser par des conflits, ce qui nous permet d'en accumuler un très grand nombre. Nos coeurs se régénèrent alors à haute vitesse, toujours prêts à accueillir de nouveaux partenaires. Nos relations amoureuses se suivent à la queue leu leu!

Adieu solitude! À l'ère du friending et des fuck friends, finies les dépressions existentielles et l'ère du vide des années 80! Nos journées sont tellement bien remplies que, claustrés de jour comme de nuit sur nos portables, nous ne trouvons plus le temps de dormir. Nos innombrables clavardages, amitiés et amours nous tiennent éveillés. À notre plus grand plaisir, semble-t-il, nos relations humaines se sont ainsi matérialisées sous forme de biens de consommation renouvelables à l'infini. Et, tout comme le junkfood que nous avalons goulûment, nous les consommons avidement et rapidement et sans que cela laisse des traces d'arrière-goût.

Avec le numérique, nous sommes au pays du quantitatif. Il est d'ailleurs intéressant de noter que les utilisateurs les plus populaires sur les réseaux sociaux sont ceux qui révèlent le plus de renseignements sur leur vie privée. Tout y est d'ailleurs soigneusement conçu pour en recevoir le plus possible. Or, et comme par hasard, c'est exactement ce dont a besoin ces réseaux pour prendre de l'expansion et s'enrichir.  

On comprendra que pour ces réseaux, de tels renseignements ont un potentiel monétaire énorme. Surtout si, comme Facebook, vous détenez au-delà de 800 millions de membres, c'est-à-dire autant d'éventuels consommateurs. C'est sans doute ce qui explique la valeur faramineuse qu'a atteinte Facebook et qui se situe aujourd'hui quelque part entre 600 et 800 millions de dollars!