La Chine, qui emploie une armée de «policiers du net» pour censurer la Toile, utilise par ailleurs des bataillons de «commentateurs du net», sorte de pigistes de la propagande qui y sèment subrepticement la bonne parole, de manière de plus en plus habile.

Avec bientôt un demi-milliard d'internautes chinois, dont plus de 300 millions de blogueurs, la Toile représente une formidable caisse de résonnance. Ce qui n'a pas échappé au Parti communiste, très attentif aux débats qui s'élèvent du net malgré la censure.

De manière anonyme ou sous pseudonyme, des intermittents de la propagande disséminent sur l'internet la pensée du régime à parti unique. La plupart du temps contre rémunération.

Qui sont ces petites mains, combien sont-ils à s'infiltrer dans les blogues, forums et microblogues des grands portails Sina, Sohu, Tencent, Netease ou sur les sites des journaux?

«Mystère!», dit à l'AFP Jeremy Goldkorn, fondateur du site sur les médias Danwei.org, «ces gens ne parlent pas à la presse, on ne peut que faire des supputations.»

Pour Li Ming, blogueur indépendant, «on peut estimer qu'ils sont au moins des dizaines de milliers».

Ce sont surtout des étudiants, souvent des aspirants au Parti, qui «font une espèce de copier-coller de base comme ils feraient du marketing téléphonique en Occident», dit Renaud de Spens, expert de l'internet chinois.

Il y a aussi des petits fonctionnaires, des employés d'entreprises publiques, des retraités, et même des femmes au foyer.

Le système n'est pas centralisé et «ce sont les provinces, les villes, districts, ou unités de travail qui montent leurs petites armées» de l'internet, ajoute l'expert.

En 2010, la seule province du Gansu a cherché à recruter 650 «commentateurs du net» à plein temps.

Récemment, le secrétaire général d'Amnesty International, Salil Shetty, s'est alarmé de voir des pays comme la Chine «investir des ressources considérables pour créer des réseaux de blogueurs pro-gouvernementaux».

À l'origine, au milieu des années 2000, quand les blogues ont décollé en Chine, il y a eu le «wu mao» («cinq décimes»), celui qui répandait la parole officielle pour 5 centimes d'euro le message -- d'où son sobriquet.

Ensuite sont apparus les «commentateurs du net» («wangluo pinglunyuan»), de bons petits soldats de la Toile un peu plus subtils.

Au lieu de poster des commentaires comme «Vive nos dirigeants,» ou «Vive le Parti», ils se sont mis à fonctionner par thème et à développer des argumentations rationnelles.

Actuellement sur les frappes en Libye - que Pékin désapprouve - ils répandent la thèse de l'hypocrisie de l'Occident qui n'attaquerait ce pays que pour son pétrole.

«Il y a un effet subliminal, ça rentre dans les têtes, même des dissidents», dit M. de Spens, «notamment ce qui fait sens».

Les commentateurs s'activent ces jours-ci tout aussi bien sur l'élimination de Ben Laden, que sur le futur porte-avions chinois, l'égalité des chances à l'école, les scandales alimentaires ou le prix des légumes.

Sur Weibo, le Twitter chinois, ils salissent l'image d'Ai Weiwei, l'artiste contestataire détenu au secret.

L'efficacité du procédé divise les experts.

«Sur les gros sujets, trois jours après la bataille, il n'y a pratiquement que la propagande qui reste», ce qui donne un «faux avis général», remarque Renaud de Spens.

Cependant pour Jeremy Goldkorn, les internautes chinois «ont du jugement» et «ont tendance à ne pas croire tout le monde».

Mais «quand il y a beaucoup de commentaires dans la ligne officielle, il est évidemment plus difficile pour ceux qui sont d'un avis différent de se faire entendre».

Et l'opération peut être à double tranchant: l'internaute pro-gouvernemental sincère est souvent accusé d'être un «wu mao».

Une véritable insulte, synonyme de «vendu».