Pendant que Wall Street connaissait des heures difficiles, le secteur des jeunes entreprises web de New York était en ébullition. Aujourd'hui, la métropole n'a plus rien à envier à sa grande soeur technologique californienne, sinon le temps clément.

En mars, les résidents de General Assembly ont été invités à assister à la projection du documentaire Startup.com. Sorti en 2001, il relate l'ascension et surtout la faillite spectaculaire de l'entreprise internet govWorks, dont la vie n'aura duré que deux ans.

Il fallait un certain culot pour présenter cette histoire à la centaine d'entrepreneurs web et développeurs qui occupent des bureaux chez General Assembly, un incubateur d'entreprises web.

«Il y avait une certaine dose d'ironie, consent Olivier Lauzon. Il y a une conscience que nous sommes à un moment où les choses peuvent aller dans tous les sens.»

Né à New York de parents québécois, ce développeur web a fait ses études à Montréal avant de retourner vivre à New York il y a dix ans. Il travaille depuis avec des entrepreneurs qui rêvent de créer le prochain Facebook ou Twitter. Il a notamment des contrats avec de jeunes entreprises qui logent chez General Assembly.

«General Assembly, c'est l'épicentre de la culture start-up à New York, voire de la côte est, dit Olivier Lauzon. On essaie de reproduire des atmosphères que l'on retrouve dans la région de San Francisco, de recréer une grande concentration de développeurs, d'investisseurs, d'entrepreneurs, et de favoriser une culture de création.»

Cette atmosphère est collégiale. Dans une salle à aire ouverte, des gens sont assis sur des sofas, ordinateurs portables posés sur les cuisses. Les espaces de travail sont partagés entre les différentes entreprises, qui occupent chacune tout au plus quatre ou cinq bureaux. Comme dans toute bonne école, on offre également des cours.

«Les gens insistent souvent sur le fait que Steve Jobs et Mark Zuckerberg sont des décrocheurs. Mais ils ont eu leurs idées pendant qu'ils étaient à l'école! C'est le climat que nous voulons reproduire», dit Adam Pritzker, cofondateur de General Assembly.

Voir plus loin que la technologie

L'ouverture de General Assembly au début de l'année n'est qu'un des nombreux signes du renouveau web qui touche la ville. La région de New York a connu dernièrement des succès qui semblent avoir galvanisé tout un secteur. Tant le site de vente de produits faits à la main Esty que le service de géolocalisation Foursquare ont réussi à faire reconnaître la «Silicon Alley» comme lieu d'importance dans la culture web.

«Il y a eu une relance dans les activités web à New York au cours des dernières années, confirme Chris Dixon. Je pense que c'est parce qu'il y a une génération de personnes qui, comme moi, a commencé à investir dans les entreprises en démarrage.»

L'homme de 39 ans est une figure proéminente du web new-yorkais. En 2006, son entreprise de sécurité internet SiteAdvisor a été vendue pour 70 millions de dollars à McAfee. Depuis, il notamment investi dans Skype et Foursquare. Il est également PDG de l'entreprise en démarrage Hunch.com, un service internet qui veut améliorer les recommandations personnalisées sur le web.

Il reconnaît qu'il a déjà eu la tentation de traverser le pays pour rejoindre la Silicon Valley. «Pendant longtemps, les gens me regardaient comme un bizarroïde et se demandaient pourquoi je restais à New York. Je suis resté parce que j'adore la ville. Ça n'a jamais été une décision stratégique.»

Pour plusieurs jeunes entrepreneurs, il semble qu'aujourd'hui, cette question ne se pose plus. Texane d'origine, Brooke Moreland a choisi New York - la ville si bien mise en scène dans Sex and the City -pour démarrer son site de mode il y a trois ans.

«Nous voulons avoir une relation avec les entreprises de mode et c'est ici que ça se passe, donc je ne me verrais pas ailleurs, dit la créatrice de Fashism.com. New York, c'est la capitale de la mode!»

Ils sont plusieurs à estimer que c'est là que réside l'avantage de New York par rapport à la Silicon Valley: la diversité. «Dans la Silicon Valley, les gens parlent toujours de technologie. Ici, il y a des connaissances dans des tonnes de domaines, comme le divertissement, les médias, la finance. C'est bon d'avoir un regard frais sur les choses», dit un des fondateurs de General Assembly, Adam Pritzker.

Il croit toutefois que sa Californie natale a donné le coup de pouce nécessaire à New York pour développer autant d'entreprises web.

«C'est dans la Silicon Valley que toute l'infrastructure pour créer des produits directement destinés aux consommateurs a été construite», dit-il.

Une inévitable transformation

Chris Dixon a beau considérer que New York profite d'une créativité exceptionnelle, il croit que la ville n'avait d'autre choix que de devenir un pôle important de l'innovation web. «L'internet commence sérieusement à affecter des entreprises qui se sont traditionnellement installées à New York: les médias, le monde de la finance, la mode», dit-il.

Son collègue John Maloney, président de l'entreprise Tumblr et investisseur, constate que les mentalités ont changé au cours de la dernière décennie à New York.

Il est bien placé pour juger de l'évolution de l'industrie dans la région. En 1998, il a fondé avec sa femme le site Urbanbaby.com, qu'il a vendu au réseau CNET huit ans plus tard. Puisque son site visait en particulier les mères new-yorkaises, John Maloney a peiné à soutirer de l'argent aux investisseurs qui croyaient à tort, dit-il, que les entreprises devaient joindre un immense marché pour connaître le succès.

Aujourd'hui, John Maloney investit dans de jeunes entreprises qui ont pignon sur rue à New York. Il est également président d'une entreprise fondée par un de ses anciens employés. Lorsqu'il avait 16 ans, le jeune David Karp a été embauché chez UrbanBaby comme développeur. Quelques années plus tard, il a fondé la plateforme de blogues Tumblr. Son ancien patron lui donne maintenant un sérieux coup de pouce.

Celui qui se proclame «entrepreneur en série» affirme qu'il est beaucoup plus facile qu'avant d'avoir accès au capital quand on démarre une entreprise web. «Il y a de plus en plus d'investisseurs. Les gens sont moins préoccupés par le marketing, on se concentre davantage sur les produits, les créateurs», dit-il.

Le fondateur de Hunch acquiesce et ajoute que New York a profité des difficultés de Wall Street. «La crise a poussé les gens à reconsidérer ce qu'ils font. Ils pensaient qu'ils étaient dans un domaine fiable, ce n'est pas le cas. Ça a favorisé les entrepreneurs», conclut-il.

Ceux qui logent chez General Assembly ne se font pas d'idées: il y a beaucoup d'appelés et peu d'élus. Entre food52, Yipit, Movable Ink, Dubset et Art.sy, bien malin celui qui pourrait dire quelle entreprise connaîtra du succès.

Mais c'est exactement ce qui enthousiasme Brooke Moreland, qui a quitté son emploi pour lancer Fashism.com. «C'est génial: des jours on n'a plus d'espoir et d'autres journées on a l'impression qu'on va conquérir le monde!»