C'était hier. On entassait les lettres dans une boîte à chaussures et les documents importants dans un coffret de sûreté. On rangeait les albums de photos sur un rayon de la bibliothèque. On entreposait au grenier les souvenirs de toute une vie. À la fin, les héritiers n'avaient qu'à dépoussiérer tout ça et à faire le tri.

Les temps ont changé. En une décennie à peine, les courriels ont remplacé les lettres. Les blogues ont détrôné les journaux intimes. Désormais, les albums de photos sont virtuels. Des milliards de données, parfois cruciales, sont stockées en ligne plutôt que dans de traditionnels classeurs.

L'internet fait maintenant partie de la vie de millions de gens. Pourtant, peu d'entre eux se sont demandé ce qu'il adviendra de leur identité virtuelle - et de leurs biens numériques - après l'ultime déconnexion.

Les internautes ne sont pourtant pas éternels. Pas plus que leurs possessions en ligne. Ils seraient bien avisés de planifier leur mort numérique afin d'éviter des cybermigraines à leur succession. C'est le conseil que donne Bertrand Salvas, le seul notaire québécois à s'être penché sur cette question complexe qui deviendra sans doute un enjeu majeur dans les prochaines années.

Pour l'instant, les notaires travaillent encore avec une clientèle âgée qui ne connaît pas l'internet ou qui le connaît peu. Mais le droit, en matière de succession, est appelé à changer à mesure que vieillissent ceux qui ont déplacé en ligne une partie de leur richesse, de leurs possessions et de leur vie personnelle.

Habitués à une clientèle plutôt jeune, les fournisseurs de services, comme Facebook ou Twitter, n'ont adopté que de vagues politiques en cas de décès. Les législations, à ce sujet, n'ont pas encore été rédigées.

Expert en droit des technologies de l'information, Me Salvas tente de sensibiliser ses collègues à la vague qu'il est le seul, ou presque, à voir venir. «Le Canada est le pays le plus branché du monde. Les deux tiers de la population vont sur l'internet une fois par jour. Ce n'est plus seulement pour s'amuser. Ces gens vont vieillir, puis mourir. Il est clair que les choses vont bouger.»

Il ne peut en être autrement. Le monde produit des tonnes de données numériques: 5 milliards d'images sur Flickr; 2 milliards de tweets par mois; des centaines de milliers de vidéos mises en ligne chaque jour sur YouTube.

Et de plus en plus de morts vivants sur la Toile.

Combien, parmi eux, avaient pensé à transmettre leurs mots de passe à leurs proches afin de leur permettre d'accéder à leurs sites, blogues et autres comptes avant de mourir? Combien s'étaient assurés que leur vie privée serait respectée après avoir passé l'arme à gauche?

Très peu, estime Me Salvas. Pour éviter des soucis à leurs héritiers, le notaire conseille aux internautes de faire l'inventaire de leurs avoirs en ligne et de vérifier la politique des fournisseurs de services en cas de décès.

«Certains détruisent le compte et effacent toutes les données. Or, on peut avoir stocké en ligne des documents importants, comme des oeuvres musicales ou des recettes commerciales. Au contraire, on peut vouloir que certains dossiers confidentiels le restent même après qu'on sera mort. Si le fournisseur ne les efface pas, on a un problème...»