La multiplication des réseaux sociaux sur l'internet fournit aux chercheurs des occasions en or d'étudier l'impact des caractéristiques psychologiques sur la communication entre les personnes. Aux États-Unis, plus des trois quarts des adolescents ont leur page Facebook. Ce nouveau territoire social amène son lot de jalousie amoureuse.

Depuis quelque temps, Emily Christofides a pu constater à quel point Facebook avait pris de l'importance chez les jeunes adultes. La professeure de psychologie à l'Université de Guelph, en Ontario, a fini par s'interroger sur l'impact de tels réseaux sociaux sur la vie sociale et émotionnelle.

«Facebook occupe une place immense dans la vie sociale des jeunes», explique Mme Christofides en entrevue téléphonique. «Ils passent des heures à alimenter leur site et ceux de leurs amis. C'est un changement majeur dans les communications et les relations humaines, comparable à l'arrivée du téléphone portable.»

Plus un jeune adulte utilise Facebook, plus il est susceptible d'éprouver de la jalousie envers son partenaire amoureux, a découvert la psychologue ontarienne, après avoir analysé des données recueillies auprès de 300 étudiants. «C'est une boucle qui se nourrit elle-même, dit Mme Christofides. Les amoureux vont voir la page Facebook de l'autre et noter de petits détails. Le problème, c'est que ces petits détails sont ambigus. Il manque le contexte pour les interpréter. Par exemple, ils en viennent à soupçonner une infidélité à cause d'une photo avec un ami de l'autre sexe ou avec une personne inconnue, ou en lisant un commentaire comme "tu me manques".»

Ce type de quiproquo n'a-t-il pas toujours existé? Après tout, nombreux sont les adolescents qui ont été jaloux après avoir vu une photo de leur petite amie avec un autre garçon dans son album de vacances, ou après l'avoir vue saluer un inconnu dans la rue. «La différence, avec Facebook, c'est qu'on reste seul avec ses soupçons, dit Mme Christofides. Quand on regarde un album avec son amoureux et qu'il demande qui est la personne sur la photo, on peut désamorcer tout de suite la jalousie. C'est une question de communication. Avec Facebook, on voit des informations ambiguës et on les fait mijoter. C'est un cocktail explosif.»

Les novices en matière d'amour sont-ils plus à risque? «Je pense au contraire que les adultes plus âgés sont plus susceptibles d'éprouver de la jalousie en utilisant Facebook, parce qu'ils sont moins habitués au nouveau monde de l'internet, dit Mme Christofides. Les jeunes adultes ont grandi dans un monde où on peut faire instantanément toutes les comparaisons qu'on veut pour trouver le meilleur prix d'un voyage, un ordinateur, pour choisir le meilleur hôtel. C'est la même chose avec les comparaisons sociales. Facebook et les autres réseaux sociaux augmentent le désir de popularité de tout le monde en permettant à chacun de comparer son nombre d'amis, le nombre de commentaires sur son babillard.»

Estime de soi et conscience

De l'autre côté du globe, une psychologue de l'Université de technologie de Queensland, en Australie, a analysé les traits de personnalité qui rendent plus susceptible d'utiliser des réseaux sociaux: les extravertis, les gens qui ne sont pas consciencieux et ceux qui ont une faible estime de soi. «Les gens qui ne sont pas très consciencieux aiment l'absence de règles des réseaux sociaux», explique Katherine White, la psychologue australienne. «On peut faire ce qui nous passe par la tête. De plus, si on est consciencieux, on ne peut pas se permettre de passer beaucoup de temps sur Facebook. Il faut étudier, faire son travail. Pour les accros à Facebook, c'est presque un travail à temps plein.»

Qu'en est-il de l'estime de soi? «Les réseaux sociaux sont des endroits où il est facile de se mettre en valeur», explique Mme White, qui a étudié un échantillon de 200 étudiants. «C'est d'ailleurs la raison de leur popularité. On peut s'épancher et il est très facile d'avoir des centaines, voire des milliers d'amis, dont au moins quelques-uns vont nous écrire un commentaire chaque jour. Pour les gens qui n'ont pas confiance en eux, qui ne se réalisent pas dans leur famille, leur couple ou leur travail, c'est très attrayant. Ça peut devenir une drogue.»

L'internet est également riche en possibilités d'expérimentation. À l'Université de Nottingham, le psychologue Zaheer Hussain a étudié la tendance à prendre un personnage de l'autre sexe dans les jeux vidéo multijoueurs en ligne. «Cette pratique est devenue plus courante avec les jeux comme Lara Croft, où le personnage central est une femme, dit M. Hussain. Évidemment, les femmes qui aiment les jeux vidéo devaient souvent changer de sexe parce que la plupart des personnages sont masculins. Maintenant, c'est très répandu même chez les hommes, même dans les jeux où on peut choisir le sexe de son personnage. Généralement, c'est pour des raisons tactiques: certains personnages féminins ont des avantages par rapport aux personnages masculins. De plus, dans les jeux multijoueurs en ligne, il est souvent plus facile d'entrer en relation avec les autres joueurs masculins quand on est un personnage féminin.»

Dans l'échantillon de M. Hussain, 83 hommes et 32 femmes recrutés dans des sites de jeux comme Allakhazam, plus de la moitié des hommes et plus des deux tiers des femmes avaient déjà choisi un personnage de l'autre sexe. «Généralement, les gens qui font cela sont plus extravertis et plus ouverts aux nouvelles expériences que la moyenne, dit M. Hussain. On trouve une proportion très élevée d'"échange de sexe" chez les personnes qui disent avoir plus de facilité à socialiser dans les jeux multijoueurs en ligne que dans la vie réelle.» Environ un amateur de jeu multijoueurs sur cinq disait avoir plus de facilité à socialiser en ligne que dans la vie réelle, une proportion qui était beaucoup plus élevée chez les hommes (40%) que chez les femmes (6%).

Rêveries

Les jeux vidéo attirent d'ailleurs une clientèle toute particulière. Un psychologue de l'Université de Detroit, Barry Dauphin, a déterminé que les personnes qui ont de la difficulté à se concentrer sont plus susceptibles d'être des amateurs de jeux vidéo. «S'absorber dans une tâche est une activité psychologique essentielle à l'équilibre émotionnel, dit M. Dauphin. C'est un peu la même fonction que les rêveries. Ça permet de donner une pause aux fonctions décisionnelles et cognitives du cerveau. Les gens qui ont de la difficulté à se plonger dans une activité - lire un livre, faire de petits travaux manuels ou réfléchir à un problème au travail ou à l'école - n'arrivent pas à décrocher de la réalité. Les jeux vidéo leur permettent d'y arriver parce qu'il est très facile de s'y absorber complètement. C'est d'ailleurs l'une des raisons de leur succès, au-delà du plaisir qu'on peut en tirer.»