Utilisant des outils aussi anodins que le courriel et le réseau social Twitter, un réseau de cyberespionnage chinois a réussi à infiltrer, pirater et cambrioler des ordinateurs de gouvernements, d'organisations privées et de particuliers partout dans le monde.

Les cyberpirates auraient mis la main sur 1500 courriels envoyés et reçus du bureau du dalaï-lama, des documents liés à des demandes de visa canadien et même des informations sur le système indien de missiles air-air Pechora.

C'est ce qui ressort d'un rapport intitulé Shadows in the Clouds, coécrit par des chercheurs du Centre d'études internationales Munk de l'Université de Toronto, de la firme de sécurité SecDev d'Ottawa et de Shadowserver Foundation, une organisation américaine de lutte contre le cyberespionnage.

«Ce qui est remarquable dans cette histoire est que les attaques ne visaient pas des comptes bancaires, mais des documents politiques ou de sécurité, observe Benoît Dupont, titulaire de la chaire de recherche du Canada en sécurité, identité et technologie de l'école de criminologie de l'Université de Montréal. Et ce, sans techniques élaborées. Les moyens utilisés n'étaient pas très sophistiqués.»

Le rapport fait suite à une enquête d'un an menée par les chercheurs qui ont en quelque sorte piraté les pirates. Il fait aussi suite à la découverte, par le même groupe l'an dernier, d'un réseau de cyberespionnage nommé GhostNet qui s'était infiltré dans quelque 1300 ordinateurs de plusieurs gouvernements et organisations dispersés dans 103 pays.

Comme l'an dernier, le réseau mis au jour est exploité par des cyberpirates chinois non identifiés. Selon les experts, rien ne permet d'associer ces individus aux autorités gouvernementales chinoises. Mais, disait l'un d'eux hier matin en conférence de presse, il ne serait pas surprenant qu'une partie des informations recueillies tombent entre les mains du gouvernement en place.

C'est en analysant les ordinateurs attaqués et en remontant les réseaux informatiques par lesquels les attaques sont venues que les chercheurs ont été en mesure de retrouver des milliers de pages de documents subtilisés. Ils ont littéralement découvert les caches des documents, comme des policiers découvriraient une plantation de cannabis.

«Ce que nous avons fait, c'est comme aller derrière les agresseurs et fouiller dans leurs poches», a expliqué Ron Diebert, directeur du Citizen Lab affilié au Centre d'études internationales Munk.

D'abord l'Inde

La recherche a permis de constater que les réseaux d'ordinateurs indiens, et tout particulièrement ceux des bureaux du dalaï-lama, étaient visés. Par des moyens triviaux, ceux-ci leurraient les utilisateurs d'ordinateurs personnels avant de siphonner tous les renseignements.

Pourquoi ce pays? On l'a vu, personne ne veut mettre directement en cause le gouvernement chinois, mais Benoît Dupont rappelle les relations tendues entre la Chine et le dalaï-lama, mais aussi celles qui règnent entre la Chine et l'Inde aux frontières.

Le problème, c'est le risque de contagion entre les ordinateurs infectés et ceux de visiteurs extérieurs comme ce fut le cas ici. Une réalité qui a incité les auteurs du rapport à relancer le gouvernement canadien sur les dangers de la cybercriminalité. Pour eux, le Canada doit se doter d'une politique contre la cybercriminalité, une idée souvent exprimée dans le passé, mais jamais devenue réalité.

«D'autres pays dont les États-Unis ont pris les devants avec des politiques détaillées et des budgets faramineux, dit Benoît Dupont. Chez nous, le problème tient aux gouvernements fragiles, mais aussi au fait que les ministères se chamaillent pour savoir qui aura le contrôle dans ce dossier. Aux États-Unis, on a résolu le problème en nommant un personnage très proche du président, un cyber security tsar, qui travaille directement à la Maison-Blanche.»

Les autorités chinoises ont rejeté hier toute implication dans cette affaire, assurant qu'elles combattaient et condamnaient le cyberterrorisme. Les gouvernements canadien et indien n'ont pas réagi alors que le bureau du dalaï-lama a fait savoir qu'il stockait désormais tous ses renseignements sensibles dans des banques de données non accessibles sur le web.

 

Méthode et contre-méthode

Pour pirater les ordinateurs, les malfaiteurs utilisaient une méthode d'une simplicité désarmante. Ils envoyaient des courriels ou lançaient des messages sur Twitter accompagnés de prétendus liens sur les relations Inde-Chine. Une fois les liens ouverts, un logiciel malveillant (botnet) se téléchargeait incognito dans l'appareil et commençait à en piller le contenu. Les auteurs du rapport ont quant à eux examiné scrupuleusement les ordinateurs infectés en plus de visiter les sites frauduleux proposés en lien dans les courriels pour accumuler petit à petit de l'information sur les pirates. Ils sont allés jusqu'à racheter les noms de domaine et ont retracé les adresses IP utilisées par les pirates afin de rassembler des informations qui continuaient à être envoyées à ces adresses. Ils ont aussi réussi à cartographier le réseau utilisé par les malfaiteurs. Ils ont enfin pu comparer les informations recueillies avec celles émanant d'attaques précédentes. Toutes ces analyses leur ont permis de déterminer sans l'ombre d'un doute que le point central se trouvait à Chengdu dans la province de Sichuan.

Les victimes

Visas canadiens

Des demandes de visas formulées par des Canadiens et des résidants de 16 autres pays dans plusieurs ambassades traitant avec le gouvernement indien. Les ordinateurs d'ambassades situées à Kaboul, Moscou, Dubaï et au Nigeria ont aussi été visités.

L'armée indienne

Des documents classés secrets du ministère indien de la Défense ont été volés. Ces documents concernaient plus précisément le système de missiles air-air Pechora.

Dalaï-lama

Pratiquement tous les courriels envoyés (et reçus) des bureaux du dalaï-lama en Inde depuis un an. S'ajoutent les transcriptions numériques des conversations téléphoniques de ces mêmes bureaux, dont des conversations avec des représentants gouvernementaux, des individus et des groupes de défense des droits humains.

Honeywell

On ne connaît pas la nature des documents volés dans les ordinateurs de cette entreprise américaine spécialisée en matériaux avioniques, civils et militaires. Mais on sait que l'entreprise possède des liens avec une entreprise indienne pour l'exploitation de biocarburants.

Université Western Ontario

L'Université Western Ontario, à London, l'Université de New York et l'Université des technologies Kaunas en Lituanie possèdent des ordinateurs piratés.