Le mastodonte chinois face à l'américain Google: la guerre froide est bel et bien terminée mais, pour certains, la décision du géant de l'Internet de défier Pékin marque une nouvelle ère où une entreprise opérant dans le monde virtuel peut s'opposer à un État.

«J'ai le sentiment que la fermeture de Google.cn confirme l'intention de Google de jouer dans la cour des grands», dit Francis Pisani, journaliste français basé en Californie et qui suit l'évolution des technologies de l'information et de la communication dans son blog Transnets (transnets.net).

«L'énormité de la chose tient au fait qu'une entreprise privée de la couche virtuelle du monde dans lequel nous vivons défie publiquement et dans les faits un des gouvernements les plus puissants de la couche réelle», dit-il à l'AFP.

Après 30 ans de réformes économiques, la Chine, autrefois surnommée «l'homme malade de l'Asie», a retrouvé une place de premier plan au sein de la communauté internationale.

Mais les puissances occidentales, qui condamnèrent naguère la répression du mouvement démocratique de Tiananmen, ont du mal à gérer l'émergence de ce modèle particulier, où l'économie de marché et les nouvelles technologies côtoient Marx, Mao et Confucius.

Aucune d'entre elles, à ce jour, n'a osé dire «non» à la Chine. Et c'est la multinationale Google qui le fait.

Google, qui en janvier s'était déclaré excédé par des attaques informatiques visant son code source et la messagerie Gmail de militants chinois des droits de l'homme, a annoncé lundi qu'il cessait de censurer son site chinois et qu'il le transférait à Hong Kong.

De plus en plus, la Chine peut en effet imposer ses vues, comme lors du sommet de Copenhague sur le changement climatique, au risque d'être perçue comme arrogante.

C'est dans ce contexte que la décision de Google prend un éclairage particulier, alors que les tensions commerciales sont de plus en plus fortes entre l'Occident, frappé par la crise, et la Chine, qui continue à bénéficier d'un taux de croissance insolent.

«Google c'est un peu le cobaye», juge Andrew Small, expert de la Chine au sein d'un centre de recherches américain, le German Marshall Fund of the United States (GMF).

«Les gouvernements occidentaux n'ont pas encore durci leur position (vis-à-vis de la Chine), mais c'est la direction vers laquelle vont tendre les politiques américaines et européennes si la Chine ne désamorce pas les tensions de ces derniers mois», poursuit-il.

Que ce soit sur le yuan, les exportations, la propriété intellectuelle, les tensions n'ont cessé de monter ces derniers temps entre des Occidentaux dûrement éprouvés par la crise économique et des Chinois, qui en 2009, en pleine crise mondiale, ont réussi à atteindre près de 9% de croissance.

«J'ai vraiment l'impression que Google essaye de prendre la tête d'un mouvement d'opposition à certaines pratiques commerciales, financières et politiques du gouvernement chinois (ou téléguidées par lui)», note M. Pisani.

Cependant, la puissance de Google inquiète également, certains le dépeignant en Occident comme un Big Brother mercantile, et se félicitent de son échec chinois.

«Il est important qu'au moins un marché solide dans l'écosystème mondial de l'information soit libre de produits Google. Tout comme il est important pour l'agriculture mondiale qu'il y ait des zones sans OGM», écrit sur son blog Philip J. Cunningham, analyste américain des médias et auteur de plusieurs livres sur la Chine.

«Tout comme les denrées alimentaires génétiquement modifiées ont en quelques années atteint presque tous les coins et recoins de la chaîne alimentaire aux États-Unis, Google s'est insinué dans la chaîne de l'information, publique et privée, d'une manière qui défie les normes traditionnelles de la décence, tout en rendant très difficile de le déloger», a-t-il ajouté.