Les photos, vidéos et informations concernant des tiers diffusées sans leur accord sur des sites comme Facebook portent-elles atteinte à leur vie privée? La Suisse et l'Allemagne ont ouvert des enquêtes sur cette pratique, qui pose la question de la responsabilité des réseaux sociaux sur les contenus téléchargés par leurs membres.

Ces investigations annoncent une nouvelle bataille entre les géants du Web américains et des pays européens, un mois après la décision d'un tribunal italien de tenir trois cadres de Google pénalement responsables d'une vidéo postée par un internaute.

Tout changement décidé à l'issue des enquêtes suisse et allemande pourrait bouleverser le mode de fonctionnement de Facebook, YouTube et d'autres sites en faisant porter la responsabilité du respect de la vie privée sur les sociétés plutôt que sur les utilisateurs.

Dans les deux pays, Facebook est sommé de s'expliquer sur sa pratique autorisant les utilisateurs à télécharger des adresses électroniques, photos et d'autres données personnelles concernant des personnes qui ne sont pas inscrites sur le site.

«Actuellement, (Facebook) permet à tous ceux qui veulent utiliser ce service de dire qu'ils ont le consentement de leurs amis ou connaissances», explique le préposé suisse à la protection des données Hanspeter Thur. Pour respecter la stricte législation suisse sur la vie privée, Facebook pourrait être contraint de contacter les personnes dont les informations ont été diffusées en ligne pour leur demander si elles sont d'accord pour que ces données y restent.

Thilo Weichert, responsable de la protection des données dans le Land allemand du Schleswig-Holstein, souligne de son côté que l'argument de Facebook affirmant que le site a le consentement nécessaire pour la mise en ligne de ces informations personnelles est «totalement absurde». «Nous avons écrit à Facebook pour lui dire qu'il ne respecte pas la loi en Europe», précise-t-il.

Les enquêtes suisse et allemande en sont encore au stade préliminaire et n'auraient pas de conséquences ailleurs. Toutefois, M. Weichert précise que la question est discutée avec d'autres pays de l'Union européenne, qui considère depuis 2000 la vie privée comme un droit fondamental devant être respecté par les entreprises et les États.

La ligne européenne diverge fortement de l'approche auto-régulatrice et libérale privilégiée aux États-Unis, où les sociétés Internet ont prospéré en offrant aux utilisateurs des services gratuits en échange d'informations personnelles pour aider les annonceurs publicitaires à mieux les cibler, explique Eben Moglen, professeur de droit à l'université de Columbia. «Si les autorités de régulation européennes ont vraiment l'intention d'agir, cela créera un conflit important», prédit-il.

Richard Allan, directeur de la politique pour Facebook Europe, note que certaines pratiques examinées par les enquêteurs, comme le fait d'autoriser l'utilisateur à télécharger les adresses électroniques de ses amis, sont répandues sur Internet. Facebook a récemment ajouté un outil permettant à ceux qui ne sont pas inscrits sur le site d'effacer des données les concernant, précise-t-il. «En tant qu'entreprise mondiale nous cherchons à nous assurer que nos systèmes remplissent les conditions exigées par toutes les législations sous lesquelles nous opérons», ajoute-t-il.

Google a déjà eu maille à partir avec la justice italienne, qui a condamné en février trois responsables du moteur de recherche américain, dont Peter Fleischer, chargé des questions de vie privée, à six mois de prison avec sursis. Il leur est reproché d'avoir bafoué le droit à la vie privée d'un enfant autiste en n'ayant pas empêché la diffusion d'une vidéo le montrant maltraité par des élèves de son école.

Vérifier tous les contenus générés par les utilisateurs serait coûteux en raison de leur abondance, précise M. Fleischer. Ce serait également une forme de censure car les sociétés Internet devraient décider de ce qui relève de la liberté d'expression et des atteintes à la vie privée, ajoute-t-il.

M. Fleischer estime toutefois que les internautes eux-mêmes devraient faire plus attention à ce qu'ils diffusent, surtout lorsque cela implique des données privées sur d'autres personnes. ôôPour des raisons à la fois de bon sens et de courtoisie, les utilisateurs ne devraient pas télécharger de photos ou de vidéos d'autres personnes sans leur consentement», explique-t-il.

De son côté, M. Moglen précise que même si les autorités européennes de régulation unissent leurs forces, elles risquent d'avoir du mal à imposer leurs règles aux géants américains de l'Internet, étant donné les liens étroits entre la Silicon Valley et l'administration de Barack Obama.