Zhang Shihe n'était pas forcément destiné à jouer les bons samaritains. C'est pourtant ce qu'il est devenu en sortant de la rue 14 handicapés, par la seule force de son indignation et de son blog, dans un pays ou l'internet sert aussi à la solidarité.

A l'hiver 2007, ce retraité de 57 ans autrefois employé dans la publicité, a décrit sur sa page personnelle, «24h/24 sur le net», les conditions de vie de quelques oubliés de la croissance chinoise, des sans-abri rencontrés sur un trottoir de Pékin. La réaction de générosité des internautes en Chine --où plus de 380 millions de personnes circulent sur la Toile et l'utilisent plutôt généralement pour dénoncer les abus des cadres locaux-- a été immédiate: les dons ont afflué. Un an plus tard, Zhang était en mesure de leur trouver un toit, à Daxing, à une trentaine de kilomètres du centre de Pékin.

Car en Chine, où les structures d'accueil sont encore très déficientes, la population prend de plus en plus conscience des rudes conditions dans lesquelles vivent certains.

Peu médiatisées, les morts cet hiver de deux sans-abri dans la capitale ont pourtant été largement commentées et déplorées sur les forums de discussions.

Handicapés, pauvres gens venus à Pékin pour tenter de faire passer au pouvoir central leurs doléances contre des autorités locales, travailleurs migrants en quête de travail: nul ne sait combien ils sont à passer leurs nuits dehors, alors que les températures ont plongé en janvier jusqu'à moins 17.

Beaucoup préfèrent fuir les 18 centres d'hébergement de la capitale. L'un des protégés de Zhang, Wang Yuhai, un unijambiste de 48 ans, s'y est risqué une fois: «C'était comme une prison, nous étions 10 dans une petite pièce. J'ai même été battu par un des gardiens».

Un centre c'est aussi le danger d'être renvoyé manu militari dans sa province: «En général, les sans-abri, qui viennent pour la plupart d'autres provinces, n'optent pas pour cette solution. En effet, au bout de quelques jours, ils sont soit renvoyés à la rue, soit escortés de force jusqu'à leur village natal», explique à l'AFP Tang Jun, sociologue de l'Académie des Sciences Sociales.

«Ca ne sert à rien. Tôt ou tard ils reviennent», ajoute-t-il.

Wang Yuhai, que sa femme handicapée mentale a suivi à Pékin, ne veut pas retourner chez lui, dans le Hebei, où leurs trois filles sont élevées par des amis et des parents.

De la rue, il parle avec humour: «Notre hôtel avait bien plus que quatre étoiles. Le matin, on faisait même le ménage pour moi. La seule différence avec un vrai hôtel, c'est qu'il n'y avait pas de chauffage...».

Aujourd'hui Wang Yuhai et ses compagnons d'infortune ne sont plus des mendiants. Ils se sont transformés en vendeurs à la sauvette, proposant aux passants des cartes de Pékin dans un quartier touristique du centre ville. Les très bons jours, ils disent pouvoir gagner 10 yuans chacun.

Le week-end, ils attendent leur bienfaiteur, qui arrive à bord d'une voiture chargée de vivres et vêtements: «ce sont des internautes de la Chine entière qui nous les ont envoyés !», annonce-t-il avec enthousiasme.

Le blogueur ne veut pas que son action prenne plus d'ampleur ni fonder une association quelconque, préférant son action discrète.

«Le phénomène des sans-abri témoigne d'un certain échec du gouvernement et est de ce fait un sujet sensible», explique-t-il.

«Je n'ai pas d'organisation, je ne suis pas revendicatif. Je sais ce que les autorités peuvent tolérer. Et même si elles sont parfois irritées, je n'ai jamais été sérieusement ennuyé», souligne-t-il

Chen Xiulan, l'épouse de Wang, a eu moins de chance. Elle a été arrêtée par la police récemment et envoyée dans un centre de détention pour une dizaine de jours.

Le couple s'apprêtait à rentrer dans le Hebei pour passer les fêtes du Nouvel an chinois avec ses filles. «Je vais peut-être devoir rentrer tout seul», dit Wang.