Il a 18 ans. Pas un poil au menton. Et l'étrange habitude de faire ses cambriolages sans chaussures. Introuvable, il fait tourner la police américaine en bourrique. Et il est maintenant une vedette du cyberespace.

Colton Harris-Moore, dit «le voleur aux pieds nus», pourrait bien être le Billy the Kid de l'ère 2.0. En moins de six mois, son histoire s'est propagée sur le web comme une traînée de poudre. La page Facebook lancée en son honneur a jusqu'ici rallié plus de 15 000 «amis», à raison d'une cinquantaine de nouveaux adhérents par jour. Sans parler de son fanclub (coltonharrismoorefanclub.com), des hommages sur YouTube et des t-shirts qu'on peut désormais acheter à son effigie. Signe des temps: le jeune homme a même son entrée dans Wikipédia!

 

Entre buzz spontané et marketing viral, le phénomène ne surprend pas le journaliste américain Zack Sestack, qui a lancé la page Facebook en août dernier. Car si son geste se voulait avant tout humoristique, il admet que ce personnage à hauteur de légende (et quelle hauteur: il mesure 6 pieds 5pouces!) a tout ce qu'il faut pour attiser les fantasmes.

«Colton touche une fibre universelle à laquelle beaucoup de gens s'identifient, lance-t-il. On sera toujours fasciné par l'image romantique du hors-la-loi solitaire qui défie les autorités et qui finit toujours par leur échapper.»

«Il y aussi la manière, ajoute Adan Stevens, créateur des T-shirts «Fly Colton Fly!»Je veux dire, ce mec a fait des trucs complètement fous. C'est difficile de ne pas être intéressé d'une manière ou d'une autre. Vous en connaissez beaucoup vous, des gens qui volent des avions sans savoir piloter?»

Insaisissable

Vrai qu'en dépit de son âge, le «kid» a une feuille de route étonnante.

À 12 ans, il dévalise sa propre école. Puis il s'attaque aux maisons de villégiature de Camano Island, dans l'État de Washington, où il dérobe des cartes de crédit qui lui permettent de s'acheter des jeux vidéo, des systèmes GPS, des lunettes à infrarouges, des scanners de pointe et même des révolvers.

Fait inusité, il effectue la plupart de ses faits d'armes sans souliers, ce qui lui vaut le surnom de «barefoot burglar», le voleur aux pieds nus. Insaisissable, il se réfugie dans la forêt, où il se cache dans les arbres grâce à son équipement de survie. Peu à peu, la légende se construit.

En 2008, la police le reconnaît au volant d'une Mercedes. Volée bien sûr. Il s'échappe de justesse en s'éjectant du véhicule en mouvement, avant de s'évaporer dans les bois. Sur le siège de l'auto, on retrouve une caméra numérique dans laquelle il a laissé son autoportrait, une photo qui fera le tour du monde.

Depuis, la chasse à l'homme se poursuit. «Colt» ne cesse de glisser entre les mailles du filet, multipliant les vols de bateaux et surtout d'avions privés, petits appareils qu'il pilote à vue avant de s'écraser, indemne. Son dernier vol au propre comme au figuré daterait de l'automne. On le croit au Canada. Puis de retour dans la région de Seattle.

Seule certitude: il continue de narguer la police de l'État, qui en fait son ennemi public no1. Clamant son impuissance, le shériff des îles Camano, Mark Brown, lance à la télé: «Ce n'est qu'un bandit. Je ne le laisserai pas devenir un héros populaire.»

Le culte du hacker

Ne lui en déplaise, il est déjà trop tard. Récupéré et décuplé par les médias sociaux, le culte du «voleur aux pieds nus» s'est imposé à une vitesse qui défie l'entendement, faisant de Colton Harris-Moore un nouveau personnage du folklore numérique.

Professeur de communications à l'Université de Montréal, Thierry Bardini se dit peu surpris par le phénomène. Parce qu'au-delà de l'histoire elle-même, l'engouement pour Colton Harris-Moore illustre bien l'attachement profond qui a toujours uni cyberculture et transgression. «C'est un lien naturel, qui existe depuis les tout premiers hackers, lance M. Bardini. Il y a toujours eu une sympathie pour ceux qui nient l'ordre établi, par leur audace et leurs compétences.»

Reste à voir, ajoute-t-il, si tout cela s'inscrira dans le temps. Car dans cette toile qui semble se renouveler à l'infini, les cyberconsommateurs pourraient se désintéresser de Billy the Kid aussi vite qu'ils en ont fait leur coqueluche.

«Au fond, ce qui attire dans cette histoire, c'est qu'on peut lui inventer une fin en permanence. On est dans le domaine du fantastique, où tout semble possible. Or, le jour où ce jeune garçon va se faire arrêter, probablement qu'il n'y aura plus d'incitation à la reproduire sur le web parce qu'elle aura trouvé sa conclusion dans le réel. À ce moment-là, d'autres histoires, plus séduisantes, prendront le relais.»