Buffet à volonté sur le web, enquête sur les ravages du XXX sur nos enfants: c'est le titre-choc d'un livre publié la semaine dernière, aux Intouchables. Le propos est sans équivoque: chers parents, vos enfants ont à portée de main des images qui pourraient les traumatiser à vie voire en faire des accros de la porno. Vrai ou faux? Deux experts réagissent.

Comme bien des gens, les auteurs, Martin Bisaillon et Isabelle Maher, deux journalistes en lock-out du Journal de Montréal, ont des enfants. Et des ordis. D'où le sujet de leur livre. «Mon fils de 8 ans écoutait un clip d'Indochine sur You Tube. Quand il a cliqué sur un lien, il s'est retrouvé sur des images érotiques, se souvient Martin Bisaillon, coauteur du livre. Ça a pris deux minutes. J'ai tourné le dos et j'ai entendu: ouache!»

Le fils de Martin n'est tombé que sur des images érotiques. Or, d'après leur enquête, les images sur lesquelles tombent les jeunes - en moyenne dès 11 ans - sont souvent loin d'être aussi soft: zoophilie, gang bang, porno juvénile, «c'est une pornographie extrêmement violente, très loin de l'érotisme des années 80».

La moitié des jeunes Canadiens sont déjà tombés sur de la cyberpornographie par hasard, écrivent les auteurs. Aux États-Unis, 90% des jeunes affirment même avoir vu de la porno sur le web en faisant leurs devoirs! D'autres chiffres indiquent aussi que 80% des ados sont exposés à de la porno violente.

L'inquiétant, dans tout cela, enchaînent-ils, ce sont les effets pervers que peut avoir cette porno. «Les Français parlent de maltraitance audiovisuelle, indique Isabelle Maher. Ce qui est inquiétant, c'est qu'on ne connaît pas vraiment les effets que cela peut avoir sur des enfants.» Le risque, dit-elle, c'est que ces images deviennent des références pour les jeunes, à une époque où justement, le discours sur la sexualité est évacué des écoles. De plus en plus, des cliniciens cités dans le livre rapportent que certains jeunes, devenus accros, souffrent justement de troubles érectiles (se fiant à des critères de performance irréalistes), ont des troubles émotifs (incapables de reproduire dans leur vie privée, le thrill de leur vie virtuelle). De leur côté, les filles se sentiraient obligées de se soumettre à certaines pratiques (sodomie, éjaculation sur le visage, trip à trois). Le livre se conclut sur des témoignages, assez troublants, de jeunes devenus accros.

Une tendance inquiétante

«Bien sûr qu'il faut se mettre à capoter», réagit Richard Poulin, auteur d'Enfances dévastées, pornographie et hypersexualisation. D'après son enquête, réalisée auprès de 213 étudiants de l'Université d'Ottawa, les trois quarts des garçons, et plus de la moitié des filles, commencent à consommer de la porno avant 13 ans. «Et plus ils commencent jeunes, plus ils vont en consommer régulièrement et fréquemment», précise le sociologue.

Le danger, croit-il, c'est que la porno influence du coup leurs comportements. D'après ses recherches, 85% des filles et 51% des gars sont totalement épilés. Et quand un jeune consomme de la porno, il a tendance à exiger de son partenaire qu'il en consomme aussi. D'après certaines études américaines, 16% des jeunes deviendraient ainsi accros. «C'est une nouvelle drogue.»

Un discours puritain

Simon Louis Lajeunesse, professeur à l'école de service social de l'Université de Montréal, n'est pas du tout de cet avis. «Ce discours anti-porno cache un puritanisme éhonté!», dénonce-t-il. Il termine justement un post-doctorat sur les effets de la porno sur les jeunes hommes. «Tout part d'un problème de compréhension de comment fonctionne la sexualité, dit-il. Cette vision présente les jeunes comme des êtres passifs, assis devant leurs ordinateurs, qui sont gavés comme des oies et qui n'ont d'autres choix que de répéter ce qu'ils voient. C'est complètement faux!»

Selon lui, les jeunes sont plutôt en relation dynamique avec la porno. «À 11 ou 12 ans, les jeunes voient de la porno pour la première fois. Ils se disent wow, je peux enfin voir ce que je veux! Mais ils ont déjà dans leur tête des fantasmes, ils savent ce qu'ils veulent voir ou non, et ils choisissent ce qu'ils veulent voir.»

Le chercheur ne croit pas non plus au hasard. «Les jeunes sont curieux, dit-il. La jeune victime traumatisée qui tombe sur une pénétration anale par erreur, honnêtement, ça n'existe pas.»

Si un enfant tombait par hasard sur une image porno, il ne la comprendrait tout simplement pas. «Il changerait de page. Il ne serait pas traumatisé!»

Pourquoi, alors, certains développent-ils une pathologie et deviennent-ils accros? Pour la même raison que certains deviennent toxicos ou alcooliques, répond le chercheur: «Pour combler un manque.» «Regardez autour de vous. Tous les gars ont déjà consommé de la porno. Si la porno avait l'effet négatif que l'on dit, ils seraient tous des agresseurs! Si la porno incitait vraiment les jeunes à répéter ce qu'ils voient sans jugement, on aurait juste à présenter de la porno hétéro à des jeunes gais et ils deviendraient hétéros! Si c'était vrai que la porno rendait accro, tous les gars seraient accros!»