Le site Web This is Why You're Fat, une ode au gras, couplée d'une célébration de l'excès, remporte un succès boeuf chez les internautes.

Le site est un produit brut né d'une réaction épidermique à notre société frileuse sur son alimentation, bombardée de messages qui lui dictent quoi manger, combien en manger et comment le manger. Et le site est un recueil virtuel des créations culinaires les plus grasses et les plus burlesques qui soient.

Ça héberge des mixtures aux noms comme Bacon Explosion Wellington, une concoction d'un kilo de bacon enroulé autour d'autant de saucisse puis emballé dans une pâte à croissant ou encore le Mega Double Stuff Oreo, un gratte-ciel de crème de biscuits Oreo entre deux biscuits chocolatés.

Les gens en ont assez de tous ces régimes, assez de se faire dire qu'ils doivent manger bio et porter attention à leur poids. Disons qu'on apporte un vent de fraîcheur, explique Jessica Amason, webjournaliste new-yorkaise et cocréatrice de This is Why You're Fat (TIWYF). Une fraîcheur baignée dans l'huile, roulée dans le bacon et arrosée de ketchup et de sauce BBQ.

Ce site Web, avare de mots, où l'essentiel du propos réside dans les photos envoyées par les internautes, Mme Amason le décrit comme le fait de regarder un accident d'auto. «Tu sais que tu ne devrais pas regarder, mais tu ne peux pas t'en empêcher, c'est plus fort que toi.»

Lancé en février par Jessica Amason et son partenaire Richard Blakely, le site This is Why You're Fat a connu un succès viral qui n'a toujours pas fini d'enfler. 24 heures après le lancement, le site recevait plus d'un million de visiteurs. Le lendemain, deux fois plus de voyeurs venaient se rincer l'oeil de ses images huileuses. Après des topos dans les grands réseaux des États-Unis, un contrat de livre tombait du ciel. Cette semaine, «This is Why You're Fat: le livre», petit mais lourd comme une brique de cheddar jaune-orange, débarque sur les tablettes et, tout comme le site, sa consultation donne aussi faim qu'elle provoque la nausée.

En entrevue au Devoir, Jessica Amason confirme recevoir plus d'une centaine de photos par semaine, provenant de partout sur le globe. Les membres de cette communauté ne sont pas tous obèses et ne mangent pas tous les jours ces mets dont ils font un culte. Cette culture alternative est composée de jeunes, de trentenaires, de quinquagénaires, de mangeurs, de curieux. D'adeptes du deuxième degré. De Canadiens aussi. Mais oui.

Du Canada

Si on jette un coup d'oeil aux concoctions de la feuille d'érable qui nourrissent TIWYF, on pourrait se péter les bretelles de satiété plutôt que de fierté. Ottawa possède la gravy pizza, une grosse pointe garnie, arrosée d'une épaisse couche de mixture brune, alors que Calgary a son hot-dog noyé de chili, de bacon, de fromage jaune fondu et d'oignons huileux. Faut les voir en photo parce qu'en mots, ça reste encore trop propre.

Oui, quand on regarde à côté, on se console. Le plus gras des smoked-meat chez Schwartz's ressemble à de la bière 0.5 à côté du gros chili-dog albertain. Étrangement, notre poutine semble inoffensive comparée à ces autres affronts de la gastronomie. Peut-être cette impression est-elle cimentée par l'habitude de côtoyer cette icône de la culture québécoise.

Questionnée sur notre poutine, la reine derrière le royaume de This is Why You're Fat s'avoue effrayée à la seule optique de devoir y goûter! «Je sais que je dois l'essayer un jour parce qu'elle a tellement d'amateurs et tant de gens me disent combien c'est amazing. Mais le fromage en grains ne m'inspire vraiment pas confiance.» Les Montréalais ont les 25 saveurs de poutine de La Banquise sur un piédestal. Le magazine de voyage Travel & Leisure a même inscrit une visite de l'établissement dans son top des dix expériences culinaires mondiales à moins de 5 $ à essayer dans sa vie.

On aime tous le junk. Si, si. Même si ça nous imbibe de culpabilité.

Marie Watiez, psychosociologue de l'alimentation et chargée de cours à l'UQAM, ne glorifie pas la nourriture rapide, et encore moins un phénomène de l'extrême comme celui pourvu par This is Why You're Fat, mais Marie Watiez reconnaît qu'il n'y a pas de mauvais aliments, mais plutôt de mauvaises habitudes alimentaires. «C'est aussi un luxe d'avoir un bon rapport à la nourriture», avoue-t-elle.

C'est d'ailleurs une musique à mes oreilles lorsqu'elle explique qu'il est plutôt vain, caloriquement parlant, de supprimer le beurre de son quotidien parce que c'est trop gras si c'est pour s'enfiler un kilo de pommes en une journée parce que c'est soi-disant meilleur pour la santé. La recette de l'équilibre, qui n'est pas que nutritionnel, mais émotionnel et social, réside dans la connaissance de soi, et la culpabilité ne devrait pas s'inclure dans le processus.

En diapason avec les propos de la psychosociologue, Benoit Duguay, spécialiste de la consommation, auteur et aussi professeur à l'UQAM, constate qu'après toute extase alimentaire à haute teneur en lipides, l'humain rétablit l'équilibre avec un repas plus léger dans la journée. «On est un peu une société culpabilisante, dit-il en riant, mais la consommation et l'acte de manger, c'est un plaisir. On ne peut pas enlever ça aux gens.»

Mme Watiez, végétarienne de tous les jours et Française de coeur, ne peut se priver de manger du foie gras de canard, et ce, malgré ses convictions. Une contradiction qui trouve toutefois sa raison dans le fait que manger est en lien avec notre patrimoine culturel.