La fameuse Loi Hadopi, en France, qui prévoit une « riposte graduée » contre les internautes pris à en flagrant délit de téléchargement de contenus protégés, vient de subir un important revers devant le Conseil constitutionnel.

Le projet de loi, adopté le 13 mai dernier, prévoyait la création de la Haute autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur internet (Hadopi), laquelle aurait eu pour mandat de mettre sur pied une base de données des utilisateurs délinquants sur la base de dénonciations faites par les fournisseurs d'accès internet. L'Hadopi aurait ensuite pu suspendre les abonnements à internet des pirates récidivistes, selon un protocole de « riposte graduée ».Dans une décision rendue ce matin, le Conseil constitutionnel de France a tranché que ce principe de riposte graduée est inconstitutionnel puisqu'il contrevient au principe fondamental de la présomption d'innocence. Pour en arriver à cette conclusion, les membres du conseil rappellent dans leur décision la Déclaration des droits de l'homme de 1789, selon laquelle «la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ».

Puisque « la compétence reconnue à l'Hadopi n'est pas limitée à une catégorie particulière de personnes mais s'étend à la totalité de la population ; que ses pouvoirs peuvent conduire à restreindre l'exercice du droit de s'exprimer et de communiquer librement (...) le législateur ne pouvait confier de tels pouvoirs à une autorité administrative dans le but de protéger les droits des titulaires du droit d'auteur», écrit le Conseil constitutionnel.

En d'autres termes : « c'est à la justice de prononcer une sanction lorsqu'il est établi qu'il y a des téléchargements illégaux », lit-on.

Mort d'un mouvement?

L'approche de la riposte graduée a vite recueilli la sympathie des propriétaires de contenus intellectuels dans différents pays du Monde. L'Angleterre a abandonné l'idée après l'avoir sérieusement étudiée; les États-Unis, quant à eux, s'y intéressent toujours. Au Canada, lors d'audiences du CRTC sur le contrôle du trafic sur internet, Quebecor a brièvement évoqué un système inspiré de l'approche de la riposte graduée.

Aux yeux de Vincent Gautrais, titulaire de la Chaire en droit de la sécurité des affaires électroniques de l'Université de Montréal, le jugement rendu en France risque cependant fort de sonner le glas de l'approche de la « riposte graduée ». « On a là un tribunal supérieur qui reconnaît que les droits fondamentaux des utilisateurs sont supérieurs au droit commercial à la propriété intellectuelle. C'est un coup très dur pour le principe de la riposte graduée, explique-t-il. C'est sûr que ça aura une incidence directe sur les fervents de cette approche. »

Pierre Trudel, titulaire du Centre de recherche en droit public, abonde dans le même sens : « C'est toujours hasardeux de prendre un jugement survenu ailleurs et de l'appliquer à notre propre système judiciaire, mais probablement que le même genre de raisonnement aurait lieu au Canada. Les tribunaux conclueraient sûrement qu'il doit y avoir une intervention judiciaire pour qu'il y ait sanction. Personne d'autre qu'un juge ne peut prendre en main la justice », affirme-t-il.