Porté par la sympathie pour les quatre gars du site web suédois d'échange de fichiers Pirate Bay, récemment condamnés à la prison pour «aide au piratage», le Parti Pirate de Suède pourrait entrer au Parlement européen la semaine prochaine. La chroniqueuse Marie-Claude Lortie a interviewé le fondateur de ce parti rebelle à Stockholm, à quelques jours de la fin du scrutin. Récit d'une rencontre sans protocole.

Je l'aperçois sur le quai du métro, avec un polo mauve où l'on peut lire Piratpartiet et un ordinateur blanc minuscule sous le bras. C'est Rickard Falkvinge, 37 ans, fondateur du Parti Pirate suédois. Il discute avec des passants en leur montrant des informations sur son portable, qui est en ligne même dans les tunnels souterrains de Stockholm.

 

M. Falkvinge, «rédacteur de code source libre» devenu homme politique, ne s'est pas installé là pour faire campagne. Il est là parce qu'il a réellement pris le métro, seul, pour se rendre à notre rendez-vous et, en passant, s'assurer que la documentation du Parti Pirate au bureau de vote de la gare centrale est bien rangée et accessible.

Leader politique marginal?

Pas du tout.

Lancé en 2006, le Parti Pirate suédois vole haut actuellement dans les sondages. À la fin du mois de mai, on lui donnait la troisième place, derrière le Parti social-démocrate et le Parti modéré (conservateur) avec 7,9% des intentions de vote. Cela pourrait être assez pour obtenir un siège au Parlement européen. On le saura lundi.

En Suède, c'est le phénomène politique du moment.

Que veulent les pirates? C'est un parti qui n'a pas de liens officiels avec le site web suédois Pirate Bay - «mis à part la bière occasionnelle ici et là» - mais qui partage tout de sa philosophie et qui se nourrit de la révolte générée par le procès et la condamnation à la prison, en avril, de ceux qui ont mis Pirate Bay sur pied.

Pirate Bay? C'est la référence mondiale en matière de téléchargement et d'échanges gratuits de fichiers sur le web - 22 millions de membres, des milliards de téléchargements - et donc la cible de toutes les multinationales du disque, du film et de leurs avocats, qui s'insurgent de voir leurs contenus ainsi partagés sans que cela leur rapporte un sou.

Le Parti Pirate suit trois principes, explique son fondateur. Il milite en faveur de la culture du partage sur le Net, de la libération du savoir et de la protection de la vie privée. Son programme ne contient aucune mesure nécessitant un échange d'argent. Son but n'est pas de prendre le pouvoir, mais de détenir la balance du pouvoir. Et d'influencer.

En gros, explique M. Falkvinge, il faut que le monde s'ajuste aux changements structurels profonds qu'oblige l'internet. Face à cette énorme machine qui permet l'échange infini d'information, il faut que le citoyen, et non les grandes compagnies, décide où aller. On laisse quoi se balader, on protège quoi?

Le parti, lui, répond: on permet au savoir de circuler, mais on protège la vie des citoyens. En d'autres mots, oui au téléchargement et à l'échange gratuit de films, de musique, de livres de classe ou de formules de médicaments. «Les brevets, dit M. Falkvinge, tuent des milliers de gens chaque jour en empêchant la fabrication de certains médicaments.» Mais non à la circulation et à l'accès aux renseignements personnels des internautes, que ce soit pour retrouver l'auteur d'un commentaire sur un blogue ou pour personnaliser le marketing d'une boutique en ligne.

Le parti propose, ni plus ni moins, une redémocratisation de l'accès à la connaissance.

Cette approche anti-big business plaît. Elle plaît notamment aux jeunes - la moitié des membres du parti ont moins de 25 ans - et aux hommes qui forment la majorité des supporters du parti de 47 000 membres. «Les partisans contribuent souvent à coup de 100 couronnes (environ 14$)», explique le fondateur.

L'approche anti-establishment plaît aussi à certains artistes et auteurs de contenu.

«Je n'ai jamais vu le Parti Pirate comme un parti hostile aux créateurs, explique Eva Gabrielsson, conjointe de feu Stieg Larsson, auteur de la trilogie Millénium, immense succès de librairie adapté au grand écran. Au contraire. Leur vraie cible, ce sont les distributeurs, les éditeurs et tous ceux qui font de l'argent sur le dos des créateurs.»

L'auteur suédois Lars Gustafsson a lui aussi donné son appui au parti dans une lettre publiée dans le quotidien Expressen, où il s'inquiète notamment des multinationales qui tentent de breveter des organismes vivants.

Les idées lancées par les fondateurs du Parti Pirate font du chemin. «Ils ne prennent pas position concernant tous les autres sujets sociaux, mais la discussion qu'ils lancent est intéressante», commente Margareta Stavling, militante pour le Parti social-démocrate.

Même les conservateurs admettent que le parti a lancé une discussion valable.

«Ils ne disent rien sur les grands enjeux du moment - libre-échange, crime organisé et protection de l'environnement, explique Henrik Lundquist, militant du Parti modéré. Mais il est vrai que je partage certaines de leurs inquiétudes concernant la protection de la vie privée sur l'internet.»