Les millions d'internautes chinois ont de nouveau montré leur puissance et leur capacité à repousser les limites de la censure et du contrôle gouvernemental en prenant la défense d'une jeune femme, accusée d'avoir tué un cadre local mais qui a invoqué la légitime défense.

En trois semaines, malgré une censure renforcée à l'approche de la date sensible du 4 juin, 20e anniversaire de la répression du mouvement démocratique de Tiananmen, l'affaire n'a cessé de prendre de l'ampleur sur l'internet, devenant la plus débattue de l'année.

Le 10 mai, Deng Yuqiao, 22 ans, employée d'un sauna dans un hôtel de Baodong, dans le Hubei (centre), a tué avec un couteau de cuisine un cadre local, affirmant s'être défendue d'une agression sexuelle.

Cependant, la police l'a rapidement accusée d'homicide volontaire, passible de la peine de mort.

L'internet s'est, fort logiquement, emparé de cette histoire, qui comporte les ingrédients idéaux du combat du faible contre le fort pour un «buzz» parfait: le cadre local corrompu, frappant la jeune femme qui refusait ses avances, et la jeune employée, parfaite incarnation de la victime de la corruption locale, devenue héroïne.

Le célèbre blogueur Tu Fu, connu sous le surnom «Brigand courant après le vent», s'est même rendu à l'hôpital où la jeune femme avait été admise.

Des groupes de soutien se sont constitués, des avocats se sont mobilisés, et l'affaire est devenue le symbole des injustices nourries par l'absence de contre-pouvoir dans un pays étroitement contrôlé par le Parti communiste.

«C'est un reflet des conflits entre le peuple et les fonctionnaires qui existent depuis longtemps», dit à l'AFP Ba Zhongwei, l'un des responsables d'un groupe de soutien à Deng.

«Comme les autorités ont l'habitude de cacher des faits pour défendre leurs propres intérêts, cette fois-ci on soupçonne la police et les autorités locales de faire de même. Et les gens se disent: cela pourrait nous arriver aussi», ajoute-t-il.

Des étudiants de Pékin ont d'ailleurs réalisé une performance artistique sur le thème: «Nous sommes tous des Deng Yuqiao».

La police, citée lundi par la presse officielle, a réagi en soulignant que la jeune femme avait usé «d'une force excessive» pour se défendre.

L'affaire montre le pouvoir croissant de l'internet, qui permet de pallier l'absence d'indépendance des organes qui devraient superviser le gouvernement et le Parti, comme la justice ou la presse officielle.

«La Chine a actuellement 300 millions d'internautes. Les médias traditionnels sont le porte-parole des gouvernements, alors que l'internet parle pour le peuple», souligne Hu Xingdou, universitaire spécialisé dans les questions sociales en Chine.

«Cela permet aux gens de se lâcher, c'est un instrument d'expression et d'appel à la justice», ajoute-t-il.

Mais, à l'approche de la date sensible du 4 juin, le régime communiste, soucieux de «stabilité», ne voit pas d'un bon oeil ce déferlement de critiques.

Le blog du «Brigand courant après le vent» a été fermé et les médias traditionnels, qui avaient rendu compte de l'affaire, ont reçu l'ordre de mettre une sourdine.

«Nous avons remarqué que des forums de discussions ont été fermés, peut-être que les autorités craignent que, comme c'est bientôt le 4 juin, une date sensible, cela ne devienne un élément d'instabilité», constate Ba Zhongwei.

Ce dernier promet que les internautes suivront l'affaire et «surveilleront les autorités locales pour voir comment elles vont faire pour la prochaine étape».

Ils ont en tout cas gagné une première bataille: la semaine dernière, Deng Yuqiao a été libérée et a pu rejoindre sa mère, mais en résidence surveillée. Et les deux cadres, complices de la victime, ont été limogés.

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