À l'ère du cyberespace, les ados sont plus que jamais exposés aux risques des jeux de hasard. La proportion de jeunes Québécois devenus des joueurs compulsifs est d'ailleurs deux fois plus élevée que chez les adultes. Peu à peu, la prévention commence à faire son chemin jusque dans des écoles secondaires de la Chaudière-Appalaches, où Le Soleil s'est rendu.

«Qui a déjà vu un pop-up d'un jeu de poker sur Internet?» Presque tous les élèves lèvent la main. «Qui l'a déjà essayé?» Plus de la moitié des mains se lèvent. «Il a été prouvé scientifiquement que les jeux de poker gratuits sont là pour créer une dépendance. Quand on gagne, notre cerveau produit de la dopamine. C'est une des causes de la dépendance.»

À l'école secondaire Louis-Jacques-Casault, à Montmagny, des ados de cinquième secondaire participent à un atelier sur les risques du jeu, animé par Cathy Tétreault, intervenante à la Maison L'Odyssée pour joueurs compulsifs.

Après l'alcool et les drogues, le jeu commence aussi à faire l'objet de prévention dans les écoles secondaires du Québec. Dans la région de la Chaudière-Appalaches, cet atelier a été présenté à plus de 80 groupes du secondaire afin de sensibiliser les jeunes au danger du jeu. Avec Internet, l'appât du gain est maintenant à portée de clic.

«Avec la popularité grandissante du poker, on s'est vite rendu compte que ça pouvait être une menace chez les ados et on a voulu faire quelque chose», explique Marie Lehoux, coordonnatrice de la Maison L'Odyssée.

Dans cette maison pour joueurs compulsifs située à Sainte-Marie de Beauce, la clientèle a changé depuis les dernières années. «À cause d'Internet, nos clients sont de plus en plus jeunes», affirme Mme Lehoux. Certains, qui y suivent une thérapie fermée d'un mois, n'ont même pas encore fêté leurs 18 ans. «On commence à accueillir des jeunes qui ont commencé à jouer sur des sites de casinos virtuels. On ne connaît pas encore l'ampleur de la problématique, mais on sait que ça s'en vient», dit-elle.

Dans la classe où Cathy Tétreault donne son atelier, certains ados sont déjà des joueurs de poker aguerris. «Il y a plein de gars qui jouent au poker», raconte Mélany, une élève de cinquième secondaire. «Il y a un gars que je connais, il a perdu beaucoup d'argent avec ça sur Internet. Il est devenu accro et il a perdu de l'argent qu'il avait mis de côté pour ses études.»

Carl Desrochers, enseignant à l'école Louis-Jacques-Casault, est préoccupé par l'ampleur du phénomène. «Une adolescente est venue me voir, son chum avait 16 ans et il avait 2000 $ de dettes. À cet âge-là, ça commence à être sérieux», dit-il.

Deux fois plus à risque?

Selon une enquête effectuée par l'Institut de la statistique du Québec (ISQ) en 2006, un élève sur trois au secondaire a déjà joué à au moins une forme de jeu d'argent au cours des 12 derniers mois. Parmi ces élèves, 17 % éprouvent déjà certains problèmes reliés au jeu.

Jeux de cartes, billets de loterie, paris sportifs privés, mises sur Internet... En 2006, 3,4 % des ados interrogés affirmaient avoir déjà parié de l'argent sur le Web. Mais puisque ce portrait date de 2006, on peut s'attendre à ce que les résultats de 2008 (qui seront dévoilés d'ici la fin de l'année) soient plus élevés, affirme Isabelle Martin, chercheuse au Centre international d'étude sur le jeu et les comportements à risque chez les jeunes de l'Université McGill. «On craint que ce phénomène augmente et que les problèmes surgissent, dit-elle. Avec Internet, les facteurs de risque sont beaucoup plus élevés.»

De manière générale, 2 % des adolescents québécois sont considérés comme des joueurs compulsifs. Une proportion qui est tout de même deux fois plus élevée que chez les adultes, puisque 1 % sont aux prises avec un sérieux problème de jeu.

Sur la Toile, les casinos virtuels sont accessibles 24 heures par jour, à partir de son salon. Même plus besoin d'enfiler un manteau pour se rendre au bar du quartier ou dans un salon de jeu. Les joueurs peuvent y dépenser leur argent dans l'anonymat le plus complet, sans s'exposer au regard des autres. Et on ne joue pas pour le plaisir entre amis, mais pour l'argent, rappelle Mme Martin. Uniquement pour l'argent.

«Souvent, les parents sont rassurés parce que leur jeune est dans leur chambre, devant l'ordinateur. Il ne traîne pas dans un parc ou ailleurs. Mais il s'agit d'un faux sentiment de sécurité parce que ces jeunes s'exposent à d'autres risques.»

De façon générale, les parents ne sont d'ailleurs pas trop préoccupés par les jeux de hasard, ajoute la chercheuse : «Les parents pensent souvent qu'il s'agit d'une activité pas trop problématique, qui a peu de conséquence.»

Du hockey au Poker

Mais certains se réveillent avec de mauvaises surprises. Au cours de la dernière année, Mme Martin a reçu des appels de mères désemparées, ne sachant plus trop que faire de leurs grands ados qui ont décidé d'abandonner l'école pour gagner leur vie... comme joueur de poker professionnel sur Internet. «Au lieu de vouloir devenir joueurs de hockey professionnels, les jeunes veulent maintenant devenir joueurs de poker», lance Mme Martin.

Difficile en effet de se battre contre une industrie qui fait des gagnants de tournois de poker de véritables vedettes du petit écran. En ce vendredi après-midi, Cathy Tétreault tente de faire comprendre aux élèves la différence entre jeux d'habileté et jeux de hasard.

«Les jeux de Xbox et de PlayStation, ce sont des jeux d'habileté. Plus vous jouez, plus vous êtes bons. Au poker, il y a une part d'habileté, mais surtout une grande part de hasard. Les cartes que vous avez dans vos mains, c'est le hasard qui en décide», explique-t-elle.

Mais quand Mme Tétrault demande aux élèves si le poker est un sport, la réponse vient sans tarder. «Ben oui, si on le montre à RDS!»

Jetons virtuels dès le primaire

Sur Internet, l'offre de jeux de hasard se multiplie. Tout est fait pour séduire... même les plus petits.

Le populaire site www.jeux.com, que connaissent la plupart des enfants et leurs parents, offre de tout : jeux d'agilité, jeux d'aventure, jeux de stratégie et... jeux de hasard. Le poker n'y fait pas exception. Un des jeux version simplifiée, le Jurassic Video Poker, s'adresse visiblement aux plus jeunes. À l'écran, un éléphant vivant dans une jungle aux motifs enfantins distribue les jetons.

Cathy Tétreault, intervenante à la Maison L'Odyssée pour joueurs compulsifs, n'en revenait pas lorsqu'elle a compris que son fils de sept ans, qui connaît bien ce site, pouvait y jouer au poker. Bien sûr, aucun argent n'est en jeu, mais les enfants peuvent tout de même y prendre goût, dit-elle. «On dirait que les jeux de hasard s'incrustent partout dans Internet. Les enfants ne jouent pas nécessairement à l'argent, mais les jeux gratuits sont là pour développer l'habitude.»

Marie Lehoux, coordonnatrice de la Maison L'Odyssée, rappelle qu'il n'est pas facile pour des enfants de faire la différence entre jeux d'habileté et jeux de hasard. «Nos enfants ont grandi avec des manettes de Xbox ou de PlayStation à jouer à des jeux où ils avaient le contrôle. C'est difficile pour eux de faire la différence lorsqu'ils se retrouvent à jouer à des jeux de hasard, où ils ne contrôlent rien du tout.»

Crédit disponible au dépanneur du coin

Question : si vous êtes un ado qui ne possède pas de carte de crédit, comment faites-vous pour jouer à l'argent sur Internet? Réponse : vous n'avez qu'à vous présenter avec quelques billets en poche au dépanneur du coin ou à la pharmacie la plus près. Depuis déjà quelques années, les cartes de crédit prépayées ont fait leur apparition sur le marché. Il vous suffit d'acheter une carte prépayée de 50 $ ou de 100 $ pour avoir accès à un numéro de carte de crédit, que vous pourrez utiliser sur le Web. Un jeu d'enfant qui favoriserait la participation des ados à des jeux d'argent en ligne. Quoique certains ont déjà leur propre carte de crédit...