Quatre ans après son implantation dans la Napa Valley, en Californie, la société américaine Crushpad, qui permet à des «cyber-vignerons» de créer leur vin depuis n'importe quel endroit de la planète, se lance à la conquête du vignoble bordelais.

Ses clients, tous grands amateurs de vin, sont guidés et conseillés, tout au long de la réalisation de leur cuvée, soit sur place soit via internet, par l'équipe de la société américaine. En effet, l'immense majorité de ses 5.000 clients, résident à des milliers de kilomètres de la Californie. Ainsi, ils peuvent, à distance et sans avoir à acheter une propriété viticole, suivre et faire des choix à chaque étape d'élaboration de leur vin: des vendanges à la vinification en passant par l'assemblage. Une fois leur cuvée mise en bouteille, libre à chacun de consommer en famille, entre amis ou même de commercialiser la production.

Le développement de ce concept dans le Bordelais a été conduit par Stephen Bolger, un entrepreneur franco-américain qui a passé plusieurs mois à sillonner les routes du prestigieux vignoble du sud-ouest de la France afin de convaincre les professionnels d'adhérer à son projet.

Aujourd'hui, six propriétés viticoles, situées dans différentes appellations plus ou moins renommées (Côtes de Castillon, Saint-Emilion, Margaux, Haut-Médoc et Canon Fronsac) ont loué une partie de leurs parcelles (de 0,45 ha à 2 ha) à Crushpad, qui vise une clientèle essentiellement étrangère.

«Dans chacune de ces appellations, pas toujours mises en valeur faute de moyens, il y a la possibilité de faire des grands vins», assure Eric Echaudemaison, un courtier bordelais.

Pour lui, même si cela constitue un «marché de niche», c'est une excellente «vitrine» pour la région.

«J'ai été surpris que les propriétaires jouent le jeu», reconnaît Eric Boissenot. Cet oenologue-conseil ne cache pas que «la complexité du système de commercialisation» des vins de Bordeaux l'avait rendu sceptique sur les chances de réussite du projet.

A quelques mois des vendanges, il se montre cependant enthousiaste à l'idée de participer à ce projet qui lui permettra «de rencontrer des gens et de comprendre ce qu'ils attendent de leur vin».

De nombreux clients potentiels se sont déjà manifestés. «J'attendais impatiemment qu'ils s'implantent à Bordeaux!», se félicite Taavet Hindrikus. L'an dernier, cet Estonien vivant à Londres, a fait, via internet, une barrique de Pinot noir californien.

Pour lui, l'installation de la société dans le Bordelais va lui faciliter les choses, en raison de la proximité géographique. En plus, «le fait d'avoir accès à un des meilleurs raisins du monde permet de faire un excellent vin!», s'enthousiasme cet amateur de vin qui hésite encore entre faire du Margaux ou du Saint-Emilion.

«C'est la démocratisation du Bordeaux. Cela donne la possibilité à des personnes de faire du Saint-Emilion grand cru», souligne John Maltus, propriétaire du Château Teyssier, un Saint-Emilion grand cru, qui met à disposition ses chais.

Créer son propre vin n'est pourtant pas à la portée de toutes les bourses: le coût de revient pour le client atteint jusqu'à 30 euros la bouteille ou 9.000 euros la barrique de 225 litres.