Des dizaines de milliers de Québécois qui avaient acheté un forfait d'abonnement à vie à l'internet, vendu par la Société canadienne des postes en 2000 avant d'être annulé l'année suivante, pourront réclamer un dédommagement qui leur est propre.

La Cour suprême a décidé hier qu'un règlement intervenu entre des clients canadiens et Postes Canada ne pouvait s'appliquer aux clients québécois. Les représentants du recours collectif québécois pourront donc le reprendre là où ils l'avaient laissé en Cour supérieure, en 2003.

Retour en arrière. En septembre 2000, la Société canadienne des postes met en vente un forfait d'accès à vie à l'internet par l'entremise d'un logiciel conçu par un fournisseur d'accès, Cybersurf Corp. Le logiciel est offert sur cédérom au coût de 9,95 $. En échange du service gratuit, les clients reçoivent de la publicité en ligne. Au total, 146 736 cédéroms sont vendus dans l'ensemble du Canada, dont 49 185 au Québec. Mais le forfait d'accès gratuit «à vie», peu rentable, est finalement abandonné en septembre 2001. Des consommateurs canadiens qui s'estiment lésés entreprennent donc des recours collectifs. Une première demande d'autorisation est déposée en février 2002 par un cl ient , Michel Lépine, au nom de tous les clients québécois. L'Ontario suit, avec une demande pour dédommager tous les clients canadiens, sauf ceux du Québec. Un troisième recours est déposé pour les clients britanno-colombiens.

Les Ontariens conviennent bientôt d'une entente avec Postes Canada: les clients qui retourneront le cédérom obtiendront un remboursement du prix d'achat ainsi que trois mois d'abonnement gratuit à l'internet. Mais dans l'entente entérinée par la Cour ontarienne, le juge stipule que le règlement s'applique à tous les Canadiens, sauf ceux de la Colombie-Britannique (qui accepteront plus tard l'offre ontarienne de Postes Canada). L'entente avec l'Ontario est entérinée le 22 décembre 2003. Le lendemain, la Cour supérieure du Québec donne le feu vert au recours collectif mené par Michel Lépine. Forte de l'entente signée en Ontario, Postes Canada estime que le règlement, signé avant l'autorisation du recours collectif, doit s'appliquer au Québec. Les clients québécois, représentés par l'avocat François Lebeau, ne sont pas d'accord.

Les tribunaux québécois leur donnent raison: le recours collectif québécois a été entamé - même s'il n'était pas encore autorisé - avant que le règlement ontarien ne soit conclu. De plus, l'avis qui est paru dans les journaux pour informer les clients potentiels d'un règlement en Ontario était confus (seuls 402 clients québécois se sont prévalus de l'offre). Hier, la Cour suprême s'est dite d'accord avec les tribunaux québécois et a débouté la Société canadienne des postes.

Un règlement insatisfaisant

La décision réjouit l'avocat François Lebeau, qui représente les clients québécois floués. «Pour nous, la proposition de règlement était totalement insatisfaisante. Les autres juridictions s'en sont déclarées satisfaites, tant mieux. Mais on estime que les consommateurs québécois ont été lésés et qu'ils méritent plus que l'offre qui a été faite. » Pour l'avocat, c'est aussi la victoire d'une «justice de proximité», par opposition à des règlements qui s'appliquent uniformément d'un bout à l'autre du pays. «Lorsqu'on a un système de droit civil - et on est les seuls au Canada à en avoir un -, il me semble préférable que les tribunaux du Québec appliquent nos règles de droit à nos résidants.» L'Union des consommateurs a déclaré que la décision met un terme «à la tentative de coup de force judiciaire» de Postes Canada, «dont on retiendra le caractère outrageusement méprisant à l'égard des consommateurs et des tribunaux québécois».

De son côté, l'avocat André Durocher, qui défend des entreprises face à un recours collectif, retient que le jugement appelle à une plus grande clarté, notamment sur la diffusion de l'avis de règlement. «Ça va améliorer la crédibilité du système judiciaire et juridique au Canada, dit-il. Mais puisqu'il faudra apporter un soin particulier à la rédaction, à la clarté et à la campagne de diffusion, c'est certain que les coûts vont augmenter. »