Outil de progrès ou subversion ? L'internet demeure un épineux paradoxe à Cuba, où l'Etat a clamé sa volonté d'en étendre l'accès, tout en pointant comme principal frein son ennemi américain, qui ne cesse pourtant d'exiger cette liberté.

Officiellement intronisé il y a un an, le président Raul Castro, promettant la fin des «prohibitions excessives», s'est emparé de cet enjeu, test de la volonté d'assouplissement du régime communiste.Si les Cubains ont bien reçu le droit d'acquérir un ordinateur, l'accès privé à l'internet reste interdit pour les prémunir de la «propagande anti-révolutionnaire».

«Il n'y a aucune limitation sauf que, comme tous les pays du monde, nous n'allons pas permettre l'accès à des sites qui encouragent le terrorisme et la subversion», a averti le vice-ministre de la Communication, Boris Moreno.

«Internet est vital pour l'essor de Cuba (...) Il y a la volonté que plus de citoyens y accèdent», mais à travers les «usages collectifs», a-t-il assuré, devant une «Convention informatique» qui s'est achevée vendredi à La Havane.

Ce forum a officialisé la mise au point d'un logiciel d'exploitation libre, face à la domination américaine incarnée par le géant de l'informatique Microsoft, répandu dans l'île sous forme de versions pirates.

Les autorités considèrent comme une menace ce système d'exploitation, persuadées que les services de renseignements des États-Unis en connaissent les codes.

Sur près de 12 millions d'habitants, Cuba compte 1,4 million d'internautes pour un parc de 630 000 ordinateurs, en majorité disponibles dans les universités, les centres de recherche ou les bureaux.

Les habitants peuvent se rabattre sur les ordinateurs dans le hall des hôtels, mais le coût de connexion s'avère prohibitif, alimentant un marché noir des codes d'accès.

A l'hôtel Sevilla, dans le centre historique de la capitale, une heure de connexion est facturée plus de 6 dollars, soit le tiers du salaire mensuel moyen.

Étudiante en économie de 23 ans, Kenia, qui s'y est aventurée dans l'espoir de séduire un touriste étranger et s'est procurée une carte, peine devant son poste. «La connection est si lente, il m'a fallu une demi-heure pour envoyer un mail», peste-t-elle.

Il n'existe pas de cybercafé dans les rues et les ordinateurs des bureaux de poste ne se branchent qu'à la messagerie d'un réseau national étroitement contrôlé.

«J'ai un ordinateur chez moi, mais je ne m'en sers que pour regarder des films», confie à l'AFP Luis Felipe Herrera, un habitant du quartier de Mayaguano.

Pour pouvoir consulter l'nternet ou envoyer des messages, ce cuisinier, reconverti il y a trois ans en chauffeur, n'a pas d'autre solution que de passer par son épouse, employée d'un palace.

«Elle se connecte pour moi. C'est pour moi le seul moyen d'avoir des nouvelles des proches», souligne cet homme de 32 ans, dont la famille est exilée aux États-unis.

Cuba attribue la mauvaise qualité et le coût des connections à l'embargo imposé depuis 1962 par la Maison-Blanche, qui l'empêche d'utiliser les câbles sous-marins et l'oblige à recourir à un service satellitaire.

Son proche allié, le Venezuela, lui a promis l'installation d'une fibre optique d'ici 2010.

Mais les détracteurs du régime lui reprochent de limiter délibérement l'accès à l'nternet, afin de museler le droit à l'information.

Cuba figure toujours sur la liste des «Ennemis d'Internet» publiée par l'association internationale Reporters sans Frontières, qui dénonce le filtrage des autorités, notamment pour les blogues de dissidents.