En dix jours de bataille enflammée, le mouvement antimafia italien a réussi à rallier à sa cause des milliers d'utilisateurs du réseau social Facebook qui ont pris d'assaut et parfois neutralisé des «pages» à la gloire de deux anciens chefs suprêmes de Cosa Nostra.

«Au début j'étais troublée par le contenu de ces "groupes", j'ai pensé à me retirer de Facebook où j'ai ma page et puis j'ai compris qu'il était essentiel d'occuper la place pour faire en sorte d'évincer ces personnes», explique à l'AFP Rita Borsellino, la soeur du magistrat antimafia Paolo Borsellino assassiné par Cosa Nostra en 1992.

Depuis fin décembre, la présence sur le réseau Facebook de plusieurs groupes de «fans» glorifiant les ex-boss de la mafia sicilienne Toto Riina (78 ans, arrêté en 1993) et Bernardo Provenzano (75 ans, arrêté en 2006) provoque les réactions indignées d'associations de familles de victimes de la mafia et de responsables politiques.

Baptisés «Fans de Toto Riina, un homme incompris» ou encore «Pour la sanctification de Bernardo Provenzano», ces groupes - qui comptabilisent pas plus de quelques centaines d'adhérents a constaté l'AFP - célèbrent en MM. Provenzano et Riina des «hommes d'honneur», des «innocents» dont «il faut baiser les mains».

En moins d'une semaine, galvanisés par les réactions des mouvements antimafia, des milliers d'utilisateurs italiens de Facebook ont pris d'assaut - via des messages intempestifs et parfois menaçants - les sites incriminés, créant à tour de bras des forums pour les dénoncer.

«Abolition du groupe des fans de Bernardo Provenzano» comptait ainsi vendredi plus de 6000 adhérents, «Non aux fans de Riina sur Facebook» (plus de 4000) à «Tous ceux pour qui Riina n'est pas une idole mais un criminel (3200): de nombreux groupes de protestation voient ainsi leurs rangs gonfler chaque jour de plusieurs centaines de nouveaux fans.

Devant cette avalanche de réactions, deux des plus importants groupes glorifiant Toto Riina ont «suspendu» leur activité.

Celui baptisé «Toto Riina, un homme incompris» s'ouvre sur une page blanche où un commentaire indique seulement que «le fondateur est parti» mais que «le groupe doit rester ouvert pour ne pas s'avouer vaincu face aux connards qui sont entrés (dans le site) pour nous casser les couilles».

Sur la page «Tous ceux qui respectent Toto Riina», messages et liste des adhérents ont disparu et seule subsiste une phrase indiquant que le groupe est «momentanément fermé, le temps que les infiltrés et les moralisateurs s'en aillent».

«Cette forme d'autocontrôle et de dialogue interne est la plus efficace des méthodes», commente Rita Borsellino, qui se félicite du fait que «la société civile ait montré qu'elle savait réagir face à ceux qui chantent les louanges des parrains» mafieux.

«Si on interdisait ces groupes, on leur ferait encore plus de publicité et peut-être même qu'on parlerait de censure», estime-t-elle.

Le célèbre écrivain sicilien Andrea Camilleri a pour sa part déploré le fait que l'existence de la mafia en vienne à être ainsi banalisée, un phénomène «qui est en train d'entrer dangereusement dans l'ADN des Italiens».

«Si par magie tous les mafieux devaient disparaître de la surface de la Terre, le phénomène mafieux survivrait comme le démontre le cas Facebook. Je suis abasourdi, on pense toujours qu'on a touché le fond, et en fait, comme on peut le constater, le fond devient sans cesse plus profond», a-t-il dénoncé.