À peine mise en ligne jeudi, la bibliothèque Europeana, réponse des Européens au projet de numérisation de livres de l'américain Google, a été prise d'assaut par les internautes qui ont obligé le site à fermer à la mi-journée.

«En une heure ce matin, 10 millions de personnes ont essayé d'avoir accès à la bibliothèque. Jamais une initiative européenne n'a eu autant de succès», a commenté Viviane Reding, la commissaire européenne chargée des nouvelles technologies, lors du lancement officiel. Il y a en effet de quoi faire pâlir les sites des institutions de l'UE. Commission, Parlement, Conseil... Tous réunis, ils affichent à peine 500 000 visiteurs par jour.

Victime de son succès, le portail www.europeana.eu a fermé en fin de matinée, le temps de doubler le nombre de serveurs pour augmenter sa capacité. Il fonctionnait à nouveau dans l'après-midi, avec un débit toutefois ralenti.

Bruxelles avait mis le paquet pour promouvoir Europeana, promettant l'accès dès jeudi à plus de deux millions d'oeuvres numérisées.

Parmi elles, des oeuvres littéraires majeures comme «La Divine Comédie» de Dante, des peintures comme «La jeune fille à la perle» de Vermeer, des documents historiques comme la «Magna Carta» britannique ou la première Bible de Gutenberg, des enregistrements ou des manuscrits de Beethoven ou Mozart...

«C'est une occasion inédite pour l'Europe de faire rayonner sa diversité culturelle et linguistique dans le monde entier», a commenté lors de l'inauguration la ministre française de la Culture, Christine Albanel, dont le pays préside l'UE.

Europeana a une vision très large de la culture européenne: jeudi, parmi la poignée d'oeuvres suggérées en page d'accueil, la Joconde voisinait avec un reportage sur les films pornographiques tiré des archives de l'Institut national de l'audiovisuel (INA) français et une publicité très aguicheuse pour une marque de jeans.

Mais pour la diversité internationale, le choix est plus réduit: la France a fourni à elle seule la moitié des premiers contenus disponibles.

Les autres pays devraient rattraper leur retard -dû surtout à des questions techniques, selon les experts- dans les prochains mois.

La prépondérance française témoigne de son rôle moteur dans le projet qu'elle avait lancé en 2005, juste après le démarrage par le géant américain de l'internet Google d'un gigantesque projet de numérisation de livres.

Europeana «n'est pas une concurrence à Google», assure aujourd'hui Jill Cousins, responsable de la fondation qui gère Europeana. Le géant américain de l'internet assure lui aussi vouloir «collaborer» avec elle.

Europeana veut inciter les institutions culturelles européennes à mettre leurs fonds à sa disposition au fur et à mesure qu'elles les numérisent, avec un objectif d'ici 2010 fixé à 10 millions de livres, manuscrits, peintures, cartes, photos, documents audiovisuels...

C'est peu comparé aux milliards d'oeuvres que compte l'Europe, mais leur numérisation va déjà coûter très cher, autour de 350 millions d'euros.

Face à de tels montants, le budget annuel d'Europeana se limite à 2,5 millions d'euros, dont 2 millions tirés du budget communautaire.

«Les Etats membres, les institutions culturelles et le secteur privé augmenteront graduellement leur part dans le financement au fur et à mesure que le projet se développe», selon le président de la Commission, José Manuel Barroso.

Outre le modèle économique, il faudra aussi régler le problème de la rémunération éventuelle des auteurs. Europeana se contente essentiellement pour l'instant d'oeuvres libres de droit, d'où un «trou noir» sur les dernières décennies.