Sur l'internet, les sites d'évaluation populaire d'enseignants, d'agents immobiliers, d'entrepreneurs, d'appareils électroniques, de sites touristiques se multiplient.

«Maudit épaix comme médecin... il ma juger pis menquer de respect.»«Excellent, humain, à l'écoute, bon suivi, se fait rassurant.»

Ces deux commentaires ont trait au même médecin québécois et ont été recueillis tels quels sur le site d'évaluation www.ratemds.com.

Il est fort probable que votre propre médecin y ait lui aussi subi la sanction populaire: des 19 000 membres du Collège des médecins du Québec, 11 000 ont été évalués sur ce site, si l'on en croit leurs statistiques.

Sur d'autres sites, et selon le même principe, vous pourrez faire connaître votre opinion ou lire les appréciations sur votre coiffeur, votre avocat, votre station de ski...

Exutoire ou service utile? «Les deux, répond Michelle Blanc, consultante en marketing internet et titulaire d'une maîtrise en commerce électronique. Un exutoire pour déverser son fiel, c'est très important et très sain, et pour le consommateur, et pour les autres consommateurs qui ne sont pas au courant, et même pour l'entreprise.»

Ces sites recueillent et répertorient les opinions des consommateurs ordinaires, qui n'ont en théorie aucun intérêt à défendre. Michelle Blanc donne l'exemple suivant. Si vous décidez de vous acheter une voiture, quelle influence risque de peser le plus sur votre décision d'achat: l'article du chroniqueur automobile, la publicité du constructeur, le conseil du garagiste ou l'opinion de votre beau-frère?

«Ce sera probablement l'opinion de votre beau-frère, et le web, c'est un réseau mondial de beaux-frères.»

Et ces échanges sont à l'avantage du consommateur. «On est à l'époque de la transparence radicale, avise Michelle Blanc. Les entreprises doivent s'adapter, c'est-à-dire reconnaître leurs faiblesses et s'améliorer.»

Les associations de consommateurs ne sont pas nécessairement de cet avis.

«J'aurais beaucoup de réserves par rapport à ce genre de site, particulièrement ceux dont le but est de coter différents types d'entreprises ou de services, affirme Charles Tanguay, porte-parole de l'Union des consommateurs. Notamment parce que les critiques sont anonymes. Il peut tout aussi bien y avoir une entreprise qui s'autocongratule qu'une autre qui démolit injustement son concurrent.»

Le pilori numérique?

La question de la pertinence et de l'utilité de cet exercice de démocratie consumériste se pose particulièrement pour les sites sur lesquels on évalue un enseignant. «On peut se demander si ce n'est pas une forme de justice populaire qui peut friser la diffamation, à certains égards, surtout que c'est anonyme», soulève Charles Tanguay.

Pour Michelle Blanc, la communication unidirectionnelle et dogmatique l'enseignant a raison, la compagnie sait ce que veut le client est dépassée. «Ce n'est jamais bon pour l'ego de se faire critiquer, soutient- elle. Mais ça peut être bon pour le portefeuille si on réagit bien.»

Les politiciens eux-mêmes seront bientôt désavoués ou plébiscités à d'autres moments qu'aux élections. Ainsi, à Toronto, le site RateYourCouncillor.com vous invite à évaluer votre conseiller municipal.

Dans un autre ordre d'idée, en Grande-Bretagne, le site Rate your prison (visits.sicamp.org) vous offre la chance de partager votre expérience d'une visite à un parent ou un ami détenu en prison.

Un invraisemblable foisonnement. Mais peut-être ce marché se régulera-t-il de lui-même. «Certains sites mettent le Reviewer of the month, celui dont les autres disent que les évaluations sont les plus utiles», signale Sylvain Sénécal, professeur spécialisé en marketing internet à HEC-Montréal.

On évalue les évaluateurs, en somme.