Le géant de la recherche sur l'internet a plus que doublé le nombre de ses employés depuis 2006. Une croissance phénoménale, qui se poursuit selon la philosophie de l'entreprise: «Ne fais pas le mal». Un pari qui attire les talents de partout au monde... et les critiques des voisins.

Al Gore est venu faire une visite. Barack Obama aussi. Le dalaï-lama. Bill Clinton. George Soros. Jane Goodall. Une dizaine de Prix Nobel. Plusieurs Prix Pulitzer. Si le siège social de Google semble être le centre du monde, eh bien! c'est parce qu'il l'est un peu.

Pour l'atteindre, de San Francisco il faut d'abord rouler 57 kilomètres vers le sud, jusqu'à la petite ville de Mountain View, au coeur de Silicon Valley. À la sortie de l'autoroute s'élèvent une série de bâtiments neufs faits de verre et d'acier. Une petite pancarte discrète, pas plus grosse qu'un plateau de cafétéria, indique qu'il s'agit des locaux de Google.

On se gare sous un grand toit plat recouvert de panneaux solaires. Ces panneaux ont le double avantage de générer de l'électricité - 30% de l'énergie utilisée au siège social - et d'empêcher les véhicules de cuire au soleil.

Puis, un doute s'installe. Où est la réception? Suivi d'un second doute: est-il possible de se perdre chez Google?

Très possible. Probable, même. Les pavillons sont tous pareils. Sur les pelouses, des employés marchent tranquillement, un café à la main. D'autres mangent à l'une des douzaines de tables protégées du soleil par des parasols aux couleurs de Google.

Coup de fil à la responsable des relations publiques.

- Bonjour, je suis là, mais je suis perdu...

- Peux-tu me dire ce que tu vois?

- Hmmm. Des bâtiments. Des gens qui marchent. Des tables à pique-nique...

Elle m'a guidé au téléphone jusqu'à un de nombreux halls de réception. À ma décharge, le hall n'est pas très grand. Il ressemble à une salle de conférence. Deux sofas. Une table. De grandes parois en verre qui filtrent la lumière du jour. Les visiteurs s'enregistrent en tapant leur nom sur un terminal, qui imprime un badge que l'on colle sur soi.

Au-dessus du comptoir de la réception, un écran affiche une série de mots. Les mots glissent en silence, de bas en haut, comme les crédits à la fin d'un film:

chinese new year

facebook

heath ledger biography

boot düsseldorf

divorce

singapore jobs

wedding cake

david bowie

global warming...

Des termes que quelqu'un, quelque part, est en train de chercher dans Google.

Pas une minute perdue

Google est au coeur de l'internet. Mais que trouve-t-on au coeur de Google?

On y trouve des voitures hybrides rechargeables. Des sushis gratuits. Des trottinettes étranges avec des drapeaux orange. Beaucoup d'ordinateurs portables. Des jeux de backgammon. Et on y trouve Vincent Dureau.

Français d'origine, Vincent Dureau est directeur des projets télé chez Google. Ingénieur de formation, il a été embauché il y a un an et demi. À ce moment-là, l'entreprise comptait 8000 employés. Elle en a aujourd'hui plus de 16 800 dans le monde.

«Et nous avons 100 embauches par semaine en moyenne, dit M. Dureau, avec un brin de fierté. Si tu venais un lundi matin, tu verrais que le hall déborde de gens bien habillés, avec leur CV en main. C'est toujours comme ça. Semaine après semaine...

Les gens sont nombreux à vouloir travailler chez Google. Et Google le leur rend bien. Garderies gratuites. Gymnases. Piscines. Salles d'entraînement. Salon de coiffure. Service de réparation d'ordinateurs ouvert 24 heures sur 24... L'entreprise fait tout pour que ses employés ne manquent de rien. Et qu'ils passent le plus clair de leurs heures éveillées au travail.

Chaque semaine, une immense caravane hi-tech apparaît dans un des stationnements du siège social, aussi appelé Googleplex. La caravane comprend deux salles de dentistes entièrement équipées. Les employés réservent leur place sur l'internet. Ils ne manquent pas une minute de travail après leurs plombages.

M. Dureau nous guide dans l'une des 17 cafétérias du campus. Des dizaines d'employés sont assis et bavardent devant leurs plats, pendant que des chefs en toque blanche vont regarnir les plateaux de sushis. Les assiettes débordent de poulet chasseur, de couscous merguez. Les comptoirs à salades proposent des légumes bios fraîchement coupés.

Tout cela est gratuit. «Il y a des employés qui prennent leurs trois repas par jour ici, explique M. Dureau. Et aucun employé ne travaille à plus de 150 mètres d'une cafétéria. Tout est pensé pour que les gens mangent bien, sans qu'ils aient à se soucier de quoi que ce soit.»

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Une grosse boîte noire en plastique se trouve près de la sortie du pavillon. Elle sert de point de chute pour les vêtements sales. Vous avez bien lu: Google lave les vêtements de ses employés. Ceux qui le désirent, en tout cas.

«Nous avons beaucoup de jeunes de 23-24 ans qui travaillent de longues heures, explique M. Dureau, pragmatique. Alors il y a un service pour eux. Les employés qui ont des familles s'occupent habituellement eux-mêmes de leur lavage...»

Une boîte d'ingénieurs

Quand Google a fait son entrée à la Bourse, le 19 août 2004, ses actions valaient 85$ chacune. Elles valent près de 450$ aujourd'hui (après une pointe à plus de 700$ l'an dernier). L'entreprise lancée il y a 10 ans par deux amis dans un garage de Silicon Valley vaut aujourd'hui 141 milliards de dollars. C'est deux fois la valeur de McDonald's. Trois fois la valeur de Boeing. Quatre fois la valeur combinée de Ford, GM et Chrysler. L'an dernier, Google avait des revenus de 43 millions de dollars... par jour.

Aujourd'hui, la fortune personnelle des deux fondateurs, Larry Page et Sergey Brin, est estimée à 18,5 milliards de dollars chacun. Ils n'ont pas 35 ans.

Mais les chiffres sont trompeurs. Ils laissent croire que l'argent pousse dans les arbres sur le campus de Mountain View. C'est peut-être un peu vrai. Mais les employés y sont pour quelque chose.

Car avant d'être une entreprise qui offre des lunchs, avant d'être un endroit où les employés peuvent salir leur chemise et la faire laver gratuitement, Google est une boîte d'ingénieurs. Une machine hyperefficace où les meilleurs programmeurs du monde travaillent à faire augmenter le trafic sur le site, donc les revenus de l'entreprise.

Tout, chez Google, est pensé en fonction des ingénieurs. Si un pavillon est trop plein et qu'il faut louer des locaux ailleurs, ce sont les autres départements qui vont déménager. Les finances, par exemple, ou les services juridiques. «Les ingénieurs, explique M. Dureau, sont au sommet de la chaîne alimentaire.»

Dans le coin d'un des pavillons principaux, un espace a été aménagé avec des sofas, des tabourets, des tables et plusieurs machines à espresso. Une douzaine d'employés travaillent, penchés au-dessus de leur ordinateur portable, un café à portée de main. L'environnement de travail est décontracté. L'atmosphère est agréable. Mais tout le monde regarde dans la même direction: celle du développement de l'entreprise.

«Chaque employé est libre de faire ce qu'il veut, d'assister à une conférence de perfectionnement à 14h de l'après-midi si ça lui chante. Nous avons même des voitures hybrides rechargeables à leur disposition... Mais tout le monde se fixe des objectifs. Tous les trois mois, on s'assoit avec notre supérieur et l'on se donne soi-même une note sur chaque objectif. Impossible de s'en tirer en ne travaillant pas...»

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Avant d'entrer chez Google, Vincent Dureau était lui-même partenaire et cofondateur d'Open TV, une entreprise de Silicon Valley. Open TV programme les puces qui font rouler les terminaux du câble, notamment ceux qui se trouvent dans les centaines de milliers de foyers québécois abonnés à Bell Express Vu. Nombre d'employés: 400. Chiffre d'affaires: 100 millions de dollars.

Pourquoi choisir de redevenir employé quand on a été patron? M. Dureau sourit et prend quelques secondes pour réfléchir à sa réponse. «Avant, le «cerveau» des technologies était situé dans les terminaux, dans les choses qu'on possédait chez soi, dit-il. Google a changé cela. Aujourd'hui, les ordinateurs agissent de plus en plus comme des bornes internet. Le «cerveau» est ailleurs. Dans ma carrière, j'ai simplement fait cette même transition.»

Un centre qui grossit, grossit...

Chercher le terme «Google headquarters» dans Google fait apparaître une foule de liens intéressants. Le 7 février par exemple, une centaine de travailleurs des hôtels de San Francisco sont venus manifester en face du Googleplex. Ils voulaient recevoir l'assurance que l'entreprise va permettre la syndicalisation dans un hôtel quatre étoiles qui sera construit, prochainement, près du campus. Jusqu'ici, Google n'a rien promis du tout.

L'an dernier, le Los Angeles Times a aussi publié un article critique sur l'impact de Google dans la municipalité de Mountain View. Si plusieurs habitants de la ville de 70 000 âmes sont fiers d'être associés à Google, certains digèrent mal le peu de retombées de cette présence pour la région: le Googleplex est tellement bien équipé que bien des employés ne dépensent pas un sou dans les commerces de la ville. Des accusations que réfute Google, qui soutient verser des taxes généreuses à Mountain View et qui a, entre autres, installé un réseau internet Wi-Fi gratuit pour tous les citoyens.

Google n'est peut-être pas parfaite, note Vincent Dureau. Mais l'entreprise est la plus transparente de toutes celles où il a travaillé au cours de sa carrière. «Il y existe ici un niveau de confiance et de collaboration rarement vus pour une entreprise de 16 000 personnes», dit-il.

M. Dureau nous emmène dans une aire publique où des tables et des chaises sont disposées près de grandes parois de verre qui laissent entrer la lumière de février. C'est ici que chaque vendredi après-midi ont lieu les réunions où les employés peuvent dialoguer avec la direction. Plus d'un millier de personnes y assistent. Les gens viennent entendre Larry Page, Sergei Brin ou le chef de la direction Eric Schmidt, les trois grands patrons de Google, qui animent la rencontre à tour de rôle.

«Plusieurs dossiers très sensibles sont abordés dans ces rencontres, explique M. Dureau. La direction étale des chiffres, des statistiques, des noms... Malgré ça, il n'y a pratiquement jamais de fuite. Pratiquement jamais. Ça en dit long sur la philosophie de Google, sur la confiance qui règne ici.»

Derrière lui, à travers la baie vitrée, on voit des employés circuler sur des trottinettes électriques, sans doute pour aller à une réunion dans un pavillon quelconque.

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Tout va bien au centre du monde. Jusqu'ici, en tout cas.

Comment Google fait-il de l'argent?

Avec la publicité. Google annonce à la fois sur son site et sur des sites qui font affaire avec elle. Google est un acteur majeur dans le marché de la publicité en ligne: chaque fois que vous cherchez un terme, une série d'annonces sont affichées avec les résultats de la recherche. Les annonces sont situées en haut de la page et clairement identifiées. Elles ne se mélangent pas aux résultats. Ces publicités présentées sous forme de texte génèrent des revenus importants pour Google.

En plus, Google affiche des annonces sur d'autres sites, sous la bannière «Ads by Google». Google paie une redevance aux gestionnaires du site et empoche un profit au passage.