Faut-il couper l'accès internet des usagers qui téléchargent illégalement des contenus créatifs sur la Toile? Non, a répondu jeudi le Parlement européen, remettant en cause l'approche choisie par la France pour punir les pirates, jugée disproportionnée.

«La criminalisation des consommateurs qui ne cherchent pas à réaliser des profits ne constitue pas la bonne solution pour combattre le piratage numérique», souligne un rapport voté par les eurodéputés, un texte non contraignant.

Surtout, les parlementaires ont validé de justesse, par 17 voix de majorité, un amendement appelant à «éviter l'adoption de mesures (...) telles que l'interruption de l'accès à internet».

De quoi faire grincer des dents en France, où c'est justement la mesure phare d'un projet de loi antipiratage en cours d'élaboration.

A côté de l'approche pénale, qui prévoit de lourdes amendes voire des peines de prison pour les pirates «professionnels», la France souhaite mettre en place un mécanisme dit de «réponse graduée» pour les consommateurs ordinaires.

Les internautes soupçonnés de téléchargements illégaux recevraient, par l'intermédiaire de leur fournisseur d'accès à internet (FAI), des messages d'avertissement. En cas de récidive, leur abonnement serait suspendu, voire résilié. Cette mesure nécessite le filtrage par les FAI des contenus transitant entre abonnés sur internet.

Lors d'un premier vote en commission parlementaire fin janvier, les eurodéputés avaient déjà rejeté toutes les parties du rapport ou les amendements justifiant un tel filtrage des données.

Le texte final adopté jeudi insiste à nouveau dans ce sens, même si l'amendement le plus controversé, celui sur la coupure de l'accès internet, a divisé à l'intérieur même des courants politiques: par exemple, seulement une partie des conservateurs du PPE l'ont approuvé.

L'initiative a en revanche ravi l'association européenne de consommateurs BEUC, qui voit depuis le début dans la coupure de l'accès internet une mesure «disproportionnée, inefficace et, plus grave, (qui) viole certains droits fondamentaux tels que les droits à la présomption d'innocence et à la protection des données personnelles».

Dans un communiqué jeudi, le BEUC «salue le Parlement européen et ses députés qui ont rejeté aujourd'hui l'idée que cette notion ne prospère au sein de l'UE».

«Il faut lutter contre la fraude et le non respect des droits d'auteur, mais quand il s'agit d'interdire l'accès à internet, je pense qu'on va trop loin», a estimé l'eurodéputé conservateur suédois Christofer Fjellner.

«Ce point pour nous était relativement important parce que c'était une mesure que nous considérions manifestement disproportionnée», a aussi commenté le rapporteur du texte, le socialiste français Guy Bono.

Selon lui, «il ne faut pas se tromper d'objectif: ce ne sont pas les 13% d'Européens qui téléchargent illégalement qui menacent notre culture». Et de dénoncer plutôt la forte concentration dans l'industrie musicale, où 95% du marché est contrôlé par 4 majors: EMI, SonyBMG, Universal et Warner.

Le Parlement ne laisse pas pour autant la voie libre aux téléchargements illégaux. Le rapport voté jeudi souligne aussi l'importance de «garantir une rémunération juste et appropriée pour les créateurs», et de «responsabiliser tous les acteurs, y compris les consommateurs».

Mais plusieurs eurodéputés ont reconnu qu'il y aurait encore beaucoup de travail à faire au niveau européen pour arriver à une nécessaire «approche équilibrée» entre droits des créateurs et des consommateurs.