Les journalistes américains en colère ont désormais un site internet pour s'exprimer et ne s'en privent pas: hiérarchie toujours plus exigeante, charge de travail accrue, rédactions réduites comme peau de chagrin... et bouleversements liés au tout-internet.

Depuis le 10 février 2008, 2.600 «coups de gueule» ont ainsi été postés anonymement sur le site angryjournalist.com.

C'est à la suite de la lecture d'une étude sur le malaise de la profession que Kiyoshi Martinez, un ancien journaliste de 23 ans qui écrivait sur l'internet, «déçu» par la profession,» a décidé de lancer ce forum pour les professionnels des médias. Mot d'ordre: «laisser libre cours à votre colère».Paradoxalement, les reproches des journalistes sont en partie tournés contre l'internet, devenu un outil de prédilection dans leur quotidien mais qui a forcé les journaux et chaînes de télévision à se réinventer avec des conséquences douloureuses pour leurs employés.

«Je suis en colère parce que mon entreprise, comme tout le reste du secteur, me demande de faire plus avec moins», se plaint l'un d'entre eux sous le pseudonyme Angry Journalist 241. «Au diable la qualité, on nous demande simplement du remplissage sur les sites internet», ajoute-t-il.

Des journalistes chevronnés se plaignent de salles de rédaction réduites par des patrons qui demandent de produire à la fois pour les anciens et les nouveaux médias.

Les nouvelles recrues sont quant à elles frustrées par les frictions entre cultures.

«Je déteste le fait que l'imprimé et l'internet ne puissent pas travailler ensemble! Allons, l'internet est le futur, alors, s'il-vous-plaît, ayez un peu de respect pour les rédacteurs-internet», demande Angry Journalist 700.

Mais ce sont les patrons qui récoltent le plus de critiques.

«Notre directeur, l'homme qui est censé diriger notre rédaction, tourne en rond comme s'il avait oublié où il a laissé sa tasse de café», écrit Angry Journalist 2570.

Pour le créateur du site, «il est déprimant de voir qu'une industrie traite si mal ses employés».

Selon Scott Reinardy, professeur en journalisme à Ball State University et auteur de l'étude ayant inspiré le site de Kiyoshi Martinez, angryjournalist.com offre une agora sur l'évolution des entreprises de presse à l'ère d'internet.

«Nous sommes dans une situation de réelle transition et cela va juste prendre du temps et engendrer de la douleur avant que nous puissions la dépasser», estime-t-il lors d'un entretien avec l'AFP. Et d'ajouter: «L'incertitude fait peur».

Pour Steve Outing, éditorialiste au journal professionnel «Rédacteurs et éditeurs», les patrons de presse devraient prêter attention à angryjournalist.com. «Des choses sont dites sur ce site qui ne le seraient pas autrement - ou peut-être seulement entre collègues au bar du coin ou chez soi avec sa femme», écrivait-il en mars dans une chronique.

«Je ne peux pas m'empêcher de penser que c'est une bonne chose pour l'industrie des médias».

Le site a inspiré un imitateur, happyjournalist.com. Lancé le 2 mars, il peine à rencontrer son public avec seulement 97 commentaires postés.

Quant à Angry Journalist 856, il va désormais vivre heureux: «Je ne suis plus en colère, je démissionne».