Le prochain essai de Chris Anderson, rédacteur en chef du magazine Wired et célèbre auteur de The Long Tail (La longue traîne), s'intitulera Free. De passage mardi dernier à Montréal, l'Américain a conclu sa conférence en prédisant que, à terme, les produits culturels numérisés seront échangés sans contrainte... et gratuitement. Et que la musique sera le premier contenu à être ainsi consommé sur internet.

Le prochain essai de Chris Anderson, rédacteur en chef du magazine Wired et célèbre auteur de The Long Tail (La longue traîne), s'intitulera Free. De passage mardi dernier à Montréal, l'Américain a conclu sa conférence en prédisant que, à terme, les produits culturels numérisés seront échangés sans contrainte... et gratuitement. Et que la musique sera le premier contenu à être ainsi consommé sur internet.

J'ai hâte de lire cet essai... dont le titre accrocheur porte à confusion.

Car pour plusieurs encore, la notion de gratuité en ligne signifie la fin de la rémunération des créateurs pour leurs produits lancés en ligne. La musique numérisée deviendrait un produit d'appel pour les créateurs, qui devraient alors compter sur d'autres sources de revenus - concerts, produits dérivés, association avec des marques de prestige, etc.

Signes avant-coureurs?

Vous pouvez débourser ce que vous désirez pour obtenir l'autorisation de télécharger les 10 premières chansons de l'album In Rainbows, nouvelle création de Radiohead. L'été dernier, Prince a donné des centaines de milliers de ses albums comme stratégie promotionnelle. Des artistes émergents font circuler gratuitement en ligne le fruit de leur travail; l'exemple récent du groupe québécois Misteur Valaire en est un parmi tant d'autres.

L'objectif, pourtant, n'est pas de rendre la musique gratuite, même si le consommateur ne débourse rien (ou à peu près rien) pour y avoir accès. Si vous ne déboursez plus un centime pour un CD ou l'achat de musique en ligne, vous payez quand même. Le paiement, en fait, est en voie de se dissimuler derrière de nouveaux types d'ententes entre l'industrie de la musique et différents acteurs de la nouvelle économie.

Des exemples?

Les compagnies de téléphonie cellulaire en Europe ont déjà négocié avec les maisons de disques l'offre gratuite de centaines de milliers de chansons à leurs abonnés. Puisque l'industrie de la musique reçoit une compensation globale pour ce type d'entente, le prix de la musique est inclus de facto dans votre abonnement mensuel. Dans plusieurs marchés émergents, surtout la Chine, on met en place des systèmes de téléchargement autorisé, gratuit et illimité, à condition bien sûr que les réseaux qui permettent cette circulation puissent compenser globalement la création au moyen d'une entente globale de rémunération.

Gratos ou pas gratos? Pas gratos.

Si la valeur pécuniaire de vos contenus numérisés ne figure pas sur votre facture internet ou sur votre facture de téléphone, elle existe tout de même. Les problèmes à court terme n'en demeurent pas moins considérables; nous vivons la phase embryonnaire d'une façon entièrement neuve de payer la création dans un environnement numérique mais nous sommes encore loin d'un système équitable pour les créateurs.

Cette façon entièrement neuve est précédée par des actions contradictoires, à commencer par ces 26 000 poursuites de la Recording Industry Association of America dont le point culminant est la condamnation récente de Jammie Thomas pour une somme de 222 000 $.

«L'industrie américaine de la musique a été très agressive à l'endroit des internautes déviants afin de stopper la tendance au téléchargement illégal. Elle peut s'acharner à fermer tous les services illégaux et à poursuivre les internautes... ou encore trouver une autre solution afin de répondre aux besoins des ayants droits», soutient William W. Fisher, professeur en droit de la propriété intellectuelle de l'université Harvard dont il dirige le Berkman Center for Internet and Society.

Interviewé la semaine dernière à l'université McGill, où il était de passage, le professeur Fisher choisit l'exemple du réseau universitaire américain pour appuyer son propos: «L'industrie de la musique n'aurait-elle pas intérêt à convaincre les universités de prélever des sommes modestes auprès de leurs étudiants pour compenser le partage non autorisé des fichiers et ainsi en légaliser le partage?» demande-t-il.

«Puisque l'idée de taxe n'est vraiment pas populaire par les temps qui courent, les années qui viennent seront plutôt celles de la démonstration de la faisabilité d'ententes volontaires et privées, dont l'objet est de compenser les créateurs tout en autorisant un usage non restrictif des nouvelles technologies.

«Peut-être les entreprises culturelles lâcheront-elles prise et admettront-elles ces nouvelles façons de rémunérer les créateurs. Ces ententes volontaires pourraient devenir la solution permanente au problème du téléchargement illégal, à condition que tous les acteurs importants d'une telle entente puissent collaborer de bonne foi.» Voilà un scénario possible, à défaut de quoi il faudra que les gouvernements mettent leurs culottes et imposent un mode de partage des revenus colossaux engendrés par la nouvelle économie.

Quoi qu'il advienne, l'accès à la musique sera tôt ou tard illimité, de plus en plus sûr et sans contraintes mais... rien ne sera vraiment gratuit.

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