Fidel Lachance fait son entrée au restaurant-motel Charles coiffé de son inséparable chapeau de cow-boy et vêtu d'un ensemble jeans tout neuf. Il n'est pas encore assis qu'il nous distribue sa photo et son dernier disque laser comme le pape distribue ses bénédictions.

Fidel Lachance fait son entrée au restaurant-motel Charles coiffé de son inséparable chapeau de cow-boy et vêtu d'un ensemble jeans tout neuf. Il n'est pas encore assis qu'il nous distribue sa photo et son dernier disque laser comme le pape distribue ses bénédictions.

«Mais le t-shirt, dit-il, je le vends. Il est produit aux États-Unis et connaît un succès qui me dépasse. Tiens, touche le tissu, tu vas voir!» Il brandit triomphalement un vêtement blanc enveloppé de plastique transparent. C'est écrit «Fidel à soi-même» sur le t-shirt à vendre. Et sur celui qu'il porte, simplement son nom: Fidel Lachance.

Après une séance de photos dans les rues de Saint-Georges-de-Beauce, son patelin d'adoption, il me lance, au retour: «T'as vu dehors? Ça criait comme des loups ! Et c'est comme ça tout le temps. Ça ne dérougit pas.»

Avant de reprendre sa place sur la banquette du resto, Fidel Lachance avait pris le temps de jouer une toune dans la salle à manger d'à côté pour un groupe qui fêtait un mariage. «Ma guitare est mal accordée, mais le monde est content», laisse-t-il tomber.

Il est tellement sûr de son affirmation qu'il se remet à gratter de l'instrument en plein restaurant, au grand étonnement de clients à la fois incrédules et amusés. Certains se pincent. D'autres seraient à Caméra cachée qu'ils ne seraient pas surpris. Fidel Lachance est chez lui partout. Autant dans les restaurants que sur la route, où il joue cette fois du petit drapeau rouge.

Parce qu'il faut vous dire que la coqueluche québécoise de l'heure en matière de country premier degré est d'abord signaleur routier de métier. «Flagman», comme il dit lui-même. Chez Charles, une serveuse et un client me diront, dans son dos : «Fidel Lachance? Ah oui ! C'est pas le gars qui fait des grands gestes comme ça?» Et ceux-là d'imiter les mouvements du signaleur routier.

Quétaine cinq étoiles

L'homme de 56 ans est d'abord cet objet de curiosité décrit par ces personnes, bien avant d'être le grand artiste qu'il prétend être, et malgré que tout le monde le lui souhaite. YouTube l'a consacré «quétaine» cinq étoiles en 2006, en diffusant une entrevue hallucinante de candeur et de clichés réalisée par une "tévé" communautaire en 1996.

Et le festival Total Crap en a fait son grand champion toutes catégories. Mais l'homme roule avec les coups de la moquerie et de la dérision. «Tout ça m'a mis sur la carte, riposte-t-il. J'ai maintenant un bon gérant. Et regardez-moi bien aller. Je ne me suis pas bâti une belle maison neuve près de l'aéroport pour rien ! Je sais que je vais bientôt prendre l'avion souvent. Je vais devenir riche et puissant.»

Après 21 ans comme signaleur routier, 45 heures par semaine à raison de 12 $ l'heure, Fidel Lachance espère bientôt remiser son petit drapeau rouge et chanter à plein temps. «C'est mon rêve de toujours et il va se réaliser. Je le sens. J'ai guéri de grosses souffrances - lire: divorce pénible - avec la musique et l'aide du Très Haut. Ce même Très Haut s'occupe maintenant de mon destin. Et je sais que je vais traverser de l'autre bord - lire : les États-Unis - pour aller affronter les meilleurs cow-boys du country au monde.»

Ses origines

Fidel Lachance, père d'un fils de 20 ans, a grandi aux côtés de neuf frères et soeurs, dans une ferme de Saint-Robert-Bellarmin, un petit village frontalier de la Beauce. Deux de ses soeurs se prénomment Docile et Colombe, ce qui est tout dire de la mentalité des parents Lachance. Fidel a eu un grand-père qui jouait du violon, un père, de l'harmonica, et une maman, de la guitare comme lui.

«Mes origines sont américaines, dit-il. Ma mère a les deux nationalités. Ce n'est pas pour rien que je suis attiré par l'autre bord.» Après avoir effectué du porte-à-porte pour écouler ses premiers enregistrements, il affirme en vendre maintenant à la tonne sur Internet, en Angleterre et au Mexique notamment. «Tout le monde capote sur moi!» lance-t-il le plus sérieusement du monde.

Pourtant, il donne à peine un petit spectacle par-ci, par-là, et ne vend pas assez de disques pour ranger son petit drapeau rouge. «Si je ne fais pas plus de spectacles, c'est parce que je n'ai pas le temps», dira-t-il dans un élan d'absurde comme lui seul en est capable. «Je dois travailler du matin au soir sur la route.»

C'est sa soeur Reinette, de l'Alberta, qui lui aurait ouvert les yeux de l'espoir, quand elle lui téléphona, en 2006, pour lui dire : «Eh ! Fidel, t'es sur Internet!»

YouTube s'en moquait à coeur joie. Mais il a décidé de tourner cela en sa faveur. Ou du moins d'essayer. En attendant, il donne des spectacles dans les maisons privées, pour toutes sortes d'occasions. «J'en aurai un plus gros le 1er août à Saint-Georges, annonce-t-il. Et je participerai au Festival des camionneurs de Saint-Joseph. J'y gagne plus en une demi-heure qu'en une journée dans le chemin. Je ne le dis pas à mes chums. Ils vont être jaloux.»

Un Arthur Villeneuve

Jadis, à Chicoutimi, sévissait un peintre-barbier qui était la risée du voisinage, avec ses barbouillis aveuglants et ses personnages complètemnent difformes. Des gens allaient visiter sa maisonnette peinturlurée de fond en comble, souvent pour en rire.

De jeunes voisins jetaient dans la coulée des petits tableaux que leur donnaient les enfants du barbier. Arthur Villeneuve, homme peu scolarisé qui peignait plus vite qu'il ne coupait les cheveux, est plus tard devenu un incontournable de la peinture naïve, le chic du chic de la peinture brute. À tel point que sa maisonnette est exposée en permanence au musée de la Vielle Pulperie, à Chicoutimi.

Lise Bissonnette, du Devoir, a même écrit que cette maison devrait être à Chicoutimi ce que la tour Eiffel est à Paris. Fidel Lachance, s'il porte bien son nom, deviendrait-il l'Arthur Villeneuve de la chanson country ?