«Des fois, mes collègues et moi perdons du temps sur toutes sortes de sites de blagues, ou de vidéos, raconte Hugo, technicien en informatique dans une grande entreprise montréalaise. Si on n'avait pas accès à ces sites, on perdrait du temps sur d'autres sites. Et si on n'avait pas accès à l'internet, on perdrait du temps à se parler, sinon à regarder dans les airs, les yeux hagards...»

«Des fois, mes collègues et moi perdons du temps sur toutes sortes de sites de blagues, ou de vidéos, raconte Hugo, technicien en informatique dans une grande entreprise montréalaise. Si on n'avait pas accès à ces sites, on perdrait du temps sur d'autres sites. Et si on n'avait pas accès à l'internet, on perdrait du temps à se parler, sinon à regarder dans les airs, les yeux hagards...»

Un sondage mené l'an dernier pour la firme américaine Websense indique que la plupart des employés aimeraient mieux se passer du café du matin que de perdre leur accès à l'internet. Le même sondage révèle que les employés branchés estiment perdre le quart de leur temps de travail sur l'internet à naviguer sur des sites qui n'ont rien à voir avec le boulot. Mais selon les responsables des services informatiques de leurs entreprises, cette perte de temps serait deux fois plus importante que ne l'estiment les employés...

Depuis 10 ans, l'arrivée de l'internet au travail a bouleversé les habitudes. Les courriels ont remplacé les appels personnels. Le magasinage de maisons, de musique ou de bouquins se fait en deux clics, ni vu ni connu. Les écueils sont nombreux dans le grand labyrinthe cybernétique, tandis que les minutes s'envolent et que les dossiers s'accumulent dans le pigeonnier.

Mais y a-t-il une plus grande perte de temps au travail depuis l'arrivée de l'internet ? Pas nécessairement. « Il y a 50 ans, on se posait les mêmes questions à l'égard du téléphone, rappelle Jacques Pelletier, directeur des ressources humaines de l'Université de Montréal. Les personnes qui perdent leur temps sur l'internet sont les mêmes qui lisaient leur journal ou faisaient leurs mots croisés le matin en arrivant au bureau. »

Les patrons ne sont pas aveugles, ni irréalistes. Donnez un téléphone et un accès à l'internet à un employé, il s'en servira immanquablement un jour pour rappeler à son conjoint d'acheter du pain avant de rentrer. Le défi, estiment les experts, est de limiter la perte de productivité.

« Les technologies de l'information ont amélioré la productivité de nos employés, souligne Guy Delisle, directeur de la gestion de la performance des cadres supérieurs chez Alcan. Il y a eu un gain de productivité, mais la possibilité que les employés flânent sur l'internet existe. Sauf qu'ils sont imputables à leur employeur et doivent atteindre les objectifs de l'entreprise. Un employé peut bien décider d'organiser son voyage de golf durant ses heures de travail. S'il revient à la maison et termine son rapport pour le lendemain comme prévu, ce n'est pas catastrophique. Nous gérons plutôt les cas d'exception et les abus. »

Tout est là, dit Éric Lacroix, directeur au Centre francophone d'informatisation des organisations (CEFRIO). « Avant, on gérait par la présence, dit-il. L'employé est au bureau, donc je présume qu'il est en train de travailler. Les nouvelles technologies emmènent davantage les gestionnaires à gérer par les résultats. » Si le rapport demandé est remis à temps avec la qualité attendue, est-ce vraiment une grosse perte de temps que de jeter un coup d'œil aux derniers potins du Canadien ? La gestion par résultats, dit M. Lacroix, procure une certaine garantie contre la perte de temps.

Trop, c'est trop

« Mais certains cas d'exception ne peuvent être tolérés, dit Guy Delisle, d'Alcan. Un fumeur ne peut pas toujours être dehors pour fumer ses trois paquets par jour. La différence, c'est que les cas d'exception peuvent prendre différentes formes aujourd'hui. Les moyens de communication ont changé : il y a moins de rassemblements physiques. Une conversation au téléphone a été remplacée par une séance de clavardage. »

La messagerie instantanée est maintenant utilisée par un travailleur sur cinq, selon le CEFRIO. D'ici 2010, estiment les experts cités par l'organisme, 90 % des travailleurs branchés auront un compte de messagerie instantanée. Et actuellement, selon une enquête américaine, le tiers des employés se servent de la messagerie instantanée pour communiquer avec leur famille ou leurs amis.

« Je suppose que la perte de temps est beaucoup plus importante que la plupart des employeurs ne le pensent », dit pour sa part l'avocat torontois David Elenbaas, auteur d'une étude sur le sujet.

La vie au bureau, le bureau dans la vie

Mais si les affaires personnelles s'immiscent dans le courriel professionnel, l'inverse est aussi vrai. « Le nombre général d'heures supplémentaires travaillées au bureau aurait diminué de façon très importante depuis le début des années 2000, dit Éric Lacroix. Les gens vont faire des heures supplémentaires, mais à la maison plutôt qu'au bureau. L'image des bourreaux de travail des années 90 qui restaient le soir au bureau est de moins en moins vraie. Ils sont à la maison pour le faire ! »

Diane-Gabrielle Tremblay, professeure à l'UQAM, a noté dans une étude que les employés font environ six heures de travail par semaine à domicile. « Ce qui est énorme », dit-elle. « Je pense que l'internet, le courriel, et toute l'information pour laquelle on doit faire des suivis est un accroissement de la charge de travail. Les professionnels, les cadres en particulier, transportent une bonne partie de leur travail à domicile. »

Et ce travail à domicile n'est pas nécessairement dû à une « perte de temps » démesurée pendant la journée. « Tout dépend de ce qu'on qualifie de perte de temps », ajoute Mme Tremblay. « La situation n'était pas si différente avant l'arrivée de l'internet, estime Guy Delisle, de chez Alcan. Il y a toujours eu – et il y aura toujours – des gens qui veulent jaser de la partie de hockey de la veille. Ça fait partie de l'aspect social du travail. »

« On peut penser que les gens qui discutent autour d'un café ont l'air de perdre leur temps, dit Diane-Gabrielle Tremblay, mais ç'a été bien montré dans les travaux que ces échanges informels sont très importants, surtout avec le type de travail qu'on fait aujourd'hui. » Une conversation sur les prochaines vacances peut dévier sur la meilleure façon de convaincre un client de choisir son produit. Et ces trucs transmis d'un employé à l'autre sont souvent les plus importants dans l'exercice du travail. « C'est pour ça que c'est un peu embêtant de mettre ça dans la catégorie des pertes de temps. »

Avec la collaboration de Vincent Brousseau-Pouliot

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