Les «blogueurs» sont devenus les nouveaux éditorialistes, des badauds armés d'un téléphone portable se transforment en photographes de presse et des individus lambda mus par un idéal se qualifient de journalistes d'investigation.

Les «blogueurs» sont devenus les nouveaux éditorialistes, des badauds armés d'un téléphone portable se transforment en photographes de presse et des individus lambda mus par un idéal se qualifient de journalistes d'investigation.

Les sites de partage de vidéos, d'images et les pages personnelles sont le témoin de l'irrésistible expansion du mouvement des «journalistes citoyens».

«C'est un gros groupe de gens qui n'ont aucune formation (en journalisme) mais veulent rejoindre le grand débat», souligne Christine Tatum, présidente de la société américaine des journalistes professionnels (SPJ).

En décembre, le géant de l'Internet Yahoo! a lancé «YouWitnessNews», un site qui publie des articles de particuliers, validés par des journalistes professionnels. Le site d'informations «NowPublic», créé il y a deux ans, fédère 60 000 «reporters» dans 140 pays.

Les deux entreprises ont noué des partenariats avec des agences de presse classiques et leur fournissent du contenu. Le site de partage de vidéos Revver, semblable au célèbre YouTube, rémunère ses contributeurs avec le produit de ses publicités.

«Il s'agit de gens ordinaires qui sont les témoins de choses extraordinaires et les partagent», explique le fondateur de «NowPublic», Leonard Brody : «Lorsqu'un événement se produit, qui dira la vérité de la façon la plus efficace : un journaliste et un rédacteur en chef, ou des milliers de particuliers ?»

Il y a six mois, les journalistes-citoyens ont été les seuls à fournir des images du coup d'Etat en Thaïlande à CNN. Lors des attentats de Londres en 2005, les premières images parvenues sur l'Internet avaient été prises par des passants sur des téléphones portables.

«Le journalisme citoyen séduit énormément les journaux», affirme Mark Fitzgerald, de la publication spécialisée dans les médias «Editor and Publisher».

L'agence de presse financière Dow Jones a accepté, après y avoir répugné en craignant pour sa réputation de fiabilité, d'incorporer des blocs-notes dans ses services, a indiqué le rédacteur en chef du site Marketwatch.com, Bambi Francisco. «D'un point de vue éditorial, ils n'en veulent pas, mais financièrement cela veut dire plus de pages vues», a souligné M. Francisco lors d'une conférence sur les médias numériques début mars à Los Angeles : «Le contenu fourni par des utilisateurs rapporte de l'argent».

La tendance représente une grosse épine dans le pied des médias classiques, note Andrew Keen, auteur du livre «Le culte de l'amateur», qui doit sortir en juin. Pour lui, le maëlstrom actuel se résume à «l'ignorance qui rencontre l'égoïsme, le mauvais goût et la loi de la jungle, le tout dopé aux stéroïdes». «Je ne fais pas confiance», dit-il à l'AFP. «Le balancier est tellement parti dans l'autre sens que tout le monde se prend pour un spécialiste. Imaginez que les journaux disparaissent et qu'il ne nous reste plus que la blogosphère».

Christine Tatum remarque aussi que «le gros problème est que beaucoup de ces gens n'ont aucune expérience (...) des lois et des principes fondamentaux d'un journalisme sain et responsable». «Si vous pensez que vous n'avez plus besoin des médias classiques, faites l'erreur qui vous mènera devant les tribunaux, et revenez me voir», dit-elle à leur intention.

Mais malgré tout, pour Leonard Brody, l'ère du journalisme «multi-source» ne fait que commencer, et va évoluer à l'avenir en travail collaboratif, au principe similaire à celui de l'encyclopédie en ligne Wikipedia. «Pour la première fois dans l'histoire, le monopole des médias a volé en éclats. Ils ont perdu la guerre», affirme-t-il.

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