Ils écrivaient chacun pour soi. Est arrivé le blogue qui leur a permis d'être lus. Puis d'être reconnus. Et aujourd'hui, d'être publiés. Contrairement aux aspirants écrivains qui envoient leurs manuscrits avec l'espoir d'être retenus par une maison d'édition, eux, c'est la maison d'édition qui est venue les chercher!

Ils écrivaient chacun pour soi. Est arrivé le blogue qui leur a permis d'être lus. Puis d'être reconnus. Et aujourd'hui, d'être publiés. Contrairement aux aspirants écrivains qui envoient leurs manuscrits avec l'espoir d'être retenus par une maison d'édition, eux, c'est la maison d'édition qui est venue les chercher!

Le 16 mars à la salle Belle Gueule des Brasseurs, la blogosphère québécoise fêtait deux événements : les sept ans de YULblog (l'une des plus anciennes réunions de blogueurs de la planète) et le lancement de la nouvelle collection Hamac-Carnets des éditions Septentrion, exclusivement réservée aux auteurs-blogueurs.

On se bousculait pour se procurer les bouquins et les signatures des auteurs, qui, voilà pas si longtemps, étaient de parfaits inconnus. Ils le sont toujours du vaste public qui ne fréquente pas les blogues, d'ailleurs. Mais plus pour longtemps, espère l'éditeur Gilles Herman. «Notre idée, c'est d'aller chercher les lecteurs traditionnels, car les lecteurs de blogues les ont déjà lus. Ces derniers veulent surtout l'objet, un souvenir.»

Dans l'univers de la blogosphère, ce sont des stars qui ont déjà leur bassin de lecteurs. Ce n'est pas pour rien qu'ils inaugurent la collection Hamac-Carnets : Caroline Allard (Les Chroniques d'une mère indigne), Sophie Bienvenu (Lucie le chien) et Pierre-Léon Lalonde (Un taxi la nuit) ont fait quotidiennement le délice de lecture des internautes dans les dernières années. En racontant avec beaucoup d'humour les imperfections de la vie familiale, Les Chroniques d'une mère indigne est un véritable phénomène du Web. Le ton ludique de Lucie le chien (un blogue aujourd'hui fermé) a charmé ceux qui aiment voir la vie à travers les yeux d'un chien. Enfin, Un taxi la nuit, ce sont autant de petites histoires, de photographies et de réflexions accumulées au fil des nuits par un véritable chauffeur de taxi qui n'a vraiment rien à voir avec celui incarné par Patrick Huard dans Taxi 22.

Du virtuel au matériel

Aucun des trois auteurs n'aurait rêvé voir un jour son blogue passer au format papier, même s'il y a toujours une graine d'écrivain en chaque blogueur. Par contre, Pierre-Léon et Caroline, qui apprécient beaucoup l'anonymat et la liberté du blogue (ils n'ont pas dévoilé leur véritable identité avant la publication du livre) ont hésité avant de se lancer dans une aventure qui allait forcément les sortir du virtuel et les dévoiler au grand jour. Les collègues de Pierre-Léon ne connaissent pas du tout son passe-temps. «Certains ont dû tomber en bas de leur chaise en voyant ma photo dans le journal. Je suis quelqu'un de timide et de réservé, je n'aime pas être sous les feux des projecteurs.» Ancien étudiant en lettres et en histoire de l'art, il a commencé un blogue après la mort de son père. «J'ai toujours écrit, des nouvelles, des romans, mais je fais partie de cette génération qui zappe. J'écris pendant un mois, je laisse le manuscrit de côté et j'écris autre chose. Alors le format du blogue s'est imposé. Tu écris un court texte et tu passes au suivant. Il y a une ligne conductrice, mais il reste que chaque billet est indépendants l'un de l'autre.»

Caroline est étudiante au doctorat en philosophie, domaine pas mal loin des histoires de biberons. Son blogue, elle l'a commencé en congé de maternité, pour s'amuser. Elle a déjà vécu l'expérience du «manuscrit refusé». «J'ai trouvé ça dur. Mais d'une certaine façon, que nos écrits soient sur Internet, c'est un peu comme si on soumettait ça à tout le monde. En ce qui me concerne, de recevoir tous les jours les commentaires des lecteurs, c'est vraiment très spécial, c'est quelque chose qui me motive. Je pense que si je n'étais pas passée par là avant de publier, j'aurais manqué quelque chose.» Quand à l'objet livre, c'est un fantasme réalisé. Elle pense à ses filles. «Quand elles seront grandes, elles pourront voir ce livre, qui parle d'elles aussi.»

De son côté, Sophie Bienvenu, Française installée au Québec depuis six ans, ne s'attendait pas à ce que son chien Lucie l'amène jusqu'à ce lancement. «Comme tout le monde qui aime écrire, j'ai commencé des milliers de bouquins que je n'ai jamais finis, alors je trouve ça merveilleux. Ce n'est plus mon livre, c'est devenu le livre de tout le monde, et j'espère que les gens vont avoir autant de plaisir à le lire que j'en ai eu à l'écrire.» Pour elle, il ne s'agit pas tant d'une révolution dans le monde de l'édition que d'une révolution dans le monde de la lecture.

Le livre, ancêtre du iPod?

Les éditions Septentrion n'ont pas lésiné sur les moyens pour rendre cette nouvelle collection attrayante. Le look de ces petits livres à la couverture colorée est un clin d'oeil au iPod. «Le pari qu'on fait malgré tout, c'est que le livre ne sera jamais mis en danger par la technologie, soutient Gilles Herman. Le livre, c'est en quelque sorte l'ancêtre de tous les iPod. Il n'y a rien de plus simple que le livre. Le iBook (ou livre électronique), pour moi, reste destiné à un marché de professionnels; c'est pratique pour un tas de choses, mais pas pour lire dans son bain.» Et, disons-le, beaucoup moins éphémère que le blogue, qui peut être débranché ou disparaître n'importe quand. Car si les blogues s'envolent, les écrits restent

Quant au contenu, pour l'éditeur, cela ne fait pas de doute, les blogueurs sont des auteurs émergents. À ceux qui pourraient émettre des réserves quant à la valeur littéraire de ces écrits, il répond ceci : «Je leur dirais simplement d'aller les lire. C'est bien écrit, probablement mieux que bien des livres publiés.»

Les blogues, nouvel eldorado de l'édition? Cela reste à voir. Septentrion souhaite publier trois nouveaux blogueurs par année dans sa collection. «Mais on ne se met pas de pression. Nous allons publier uniquement ce que nous trouvons bon.»