Dans le domaine du pourriel, le Canada fait cavalier seul. C'est le seul pays du G8 à ne pas avoir adopté de législation claire pour l'interdire, ce qui irrite au plus haut point la commissaire à la vie privée et plusieurs experts.

Dans le domaine du pourriel, le Canada fait cavalier seul. C'est le seul pays du G8 à ne pas avoir adopté de législation claire pour l'interdire, ce qui irrite au plus haut point la commissaire à la vie privée et plusieurs experts.

Car audelà du désagrément de se faire offrir chaque jour du viagra ou une nouvelle hypothèque à taux réduit, le pourriel comporte des risques bien réels.

Mai 2005. Le Groupe de travail sur le pourriel, mandaté par le gouvernement canadien, recommande de créer des lois strictes pour freiner la prolifération des messages indésirables. La menace croît à vive allure et il faut agir sans tarder, écrit-on à l'époque dans un volumineux rapport.

Près de deux ans plus tard, peu de choses ont bougé. Un flou juridique entoure toujours la production et la diffusion de pourriels, ce qui place le Canada dans le «top 10» des pires pays délinquants en la matière, selon l'organisme international et non partisan Spamhaus.

«Depuis l'élection des conservateurs, cette question ne semble aller nulle part et on n'a aucune impression que le ministre de l'Industrie, Maxime Bernier, veut la régler», dit Michael Geist, directeur de la chaire de recherche du Canada en droit d'Internet et du commerce électronique à l'Université d'Ottawa.

«C'est particulièrement regrettable, considérant que le volume de pourriels a augmenté de manière spectaculaire depuis six ou huit mois», poursuit le professeur, qui a contribué à l'élaboration du rapport de 2005.

La commissaire fédérale à la vie privée en a elle aussi ras le bol. Jennifer Stoddard trouve inconcevable que le Canada n'ait mis de l'avant aucune loi antipourriels, alors que des pays comme l'Australie, la Grande-Bretagne et les États-Unis s'attaquent avec vigueur au problème.

«Même sous sa forme la moins nuisible, le simple envoi de pourriels viole un principe fondamental de la protection des renseignements personnels», a déploré Mme Stoddard pendant une conférence au début du mois.

Le problème est criant, selon la commissaire, d'autant plus que les pourriels renferment souvent des virus ou des logiciels espions. Les messages indésirables ne servent plus qu'à vendre du Viagra à 2$ la pilule, ils visent aussi à soutirer des informations personnelles aux internautes.

«Maintenant, la qualité des pourriels permet de faire des fraudes, de voler de l'argent dans votre compte en banque, tout ça; ce n'est plus seulement une petite irritation, ce n'est plus drôle», dit Neil Schwartzman, président de la Coalition canadienne contre le pourriel.

Certaines lois touchent indirectement la question du pourriel au Canada, mais rien ne l'interdit, dénonce M. Schwartzman.

«On a quelques règlements qui peuvent toucher les spammers: la Loi sur la protection des renseignements personnels, la Loi sur la concurrence, ça peut toucher ça. Mais l'acte d'envoyer le pourriel est toujours légal dans ce pays. C'est le seul pays du G8 où c'est légal de faire ça!»

Le ministre de l'Industrie Maxime Bernier refuse pour l'instant de se prononcer sur le sujet. Il témoignera d'ici la fin de mars devant le Comité permanent de la Chambre des communes chargé de revoir la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, souligne la porte-parole de son cabinet, Isabelle Fontaine.

La question du pourriel pourrait être incluse dans la nouvelle version de la loi, fait valoir Mme Fontaine.

Trop peu, trop tard? Michael Geist, de l'Université d'Ottawa, se demande bien pourquoi le ministre de l'Industrie n'a pas tenu compte de la question du pourriel dans la réforme du secteur des télécommunications qu'il a lancée depuis son accession au pouvoir.

Au cours de la dernière année, Maxime Bernier a notamment forcé le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) à s'en remettre aux lois du marché plutôt qu'à la réglementation dans le secteur de la téléphonie.

«Il semble que le ministre se concentre d'abord sur la déréglementation plutôt que de regarder les secteurs ou une réglementation pourrait être appropriée, dit M. Geist. Mais laisser ça (la question du pourriel) au marché n'est certainement pas une solution. Et garder le cadre réglementaire actuel n'est pas non plus une solution.»

L'expert va plus loin. Selon lui, le Canada risque de devenir un véritable refuge pour les polluposteurs -qui travaillent souvent à distance- s'il n'adopte pas de lois strictes.

«Au fur et à mesure que les pays adoptent des lois et des pénalités plus sévères, les polluposteurs vont rechercher des pays avec des peines plus légères ou pas de peines du tout, dit le professeur. Et le Canada, avec son très haut niveau de connectivité, se démarquera peut-être comme l'endroit le plus attirant pour eux.»

Meilleures pratiques

Malgré l'absence de loi, les fournisseurs canadiens de services Internet, comme Bell et Vidéotron, ont implanté une série «pratiques exemplaires» pour réduire le nombre de pourriels qui aboutissent dans la boîte de messagerie des utilisateurs.

Il s'agissait d'une recommandation du rapport d'experts de 2005, que plusieurs entreprises ont suivie de bonne foi, même si rien ne les y oblige.

Selon un rapport de la firme Sophos, l'application de ces meilleures pratiques a permis de faire glisser le Canada de la 5e à la 17e place au chapitre des pires pays pour le «relais» des pourriels.

Ces données sont plus positives que celles de l'organisme Spamhaus, qui est cependant considéré par plusieurs comme la référence en la matière.

Aussi, même si les travailleurs perdent moins de temps qu'avant à gérer leurs pourriels, les messages indésirables coûtent encore une fortune aux entreprises en perte de productivité, explique Éric Lacroix, directeur, enquêtes et veille stratégique, au CEFRIO.

«La charge de travail s'est déplacée beaucoup plus au niveau du département informatique, qui a maintenant la responsabilité de mettre à jour les filtres antipourriels, de les installer, il y a des coûts reliés à ça, dit M. Lacroix. Il y a une perte de productivité qui s'est déplacée, qui est moins sur les épaules des employés et fait partie maintenant des coûts de gestion des systèmes.»

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