Les analystes sont unanimes: Craig Newmark est assis sur une fortune. Le site d'annonces classées qu'il a créé, Craigslist, est aussi visité qu'Amazon.com. Mais contrairement aux fondateurs de YouTube, il n'est tout simplement pas intéressé à le vendre. Pas plus qu'il n'est intéressé par la fortune d'ailleurs.

Les analystes sont unanimes: Craig Newmark est assis sur une fortune. Le site d'annonces classées qu'il a créé, Craigslist, est aussi visité qu'Amazon.com. Mais contrairement aux fondateurs de YouTube, il n'est tout simplement pas intéressé à le vendre. Pas plus qu'il n'est intéressé par la fortune d'ailleurs.

«Si YouTube s'est vendu 1,65 milliard US, qui sait combien Craigslist pourrait valoir si ses fondateurs devenaient, comment dire, capitalistes?» Voilà ce que des internautes se demandent sur le blogue Tech Traider Daily. Et à Wall Street, plusieurs se posent la même question.

C'est qu'en l'espace de dix ans, Craigslist est devenu le site Internet par excellence de petites annonces. Établis dans environ 450 villes, ses sites reçoivent chaque mois la visite de 15 millions d'internautes. Ceux-ci tentent d'y vendre leur vieille voiture, d'y dénicher un appartement, ou un partenaire de salsa.

Et le secret de l'entreprise réside dans un concept bien simple : traiter l'utilisateur comme un ami, et non un consommateur. Les annonces sont payantes dans seulement cinq grandes villes américaines, et uniquement pour les offres d'emploi et les appartements. Le site montréalais est entièrement gratuit. Et aucun des sites n'a de publicité.

«Plusieurs entreprises voudraient annoncer sur nos sites», explique à La Presse Affaires le fondateur de Craigslist, Craig Newmark. «Mais nous ne voulons rien entendre, continue-t-il. Nous ne voyons vraiment pas comment nos utilisateurs bénéficieraient de la présence de publicités. Nous avons refusé les bannières, nous avons refusé les pop-ups et je ne crois pas que le monde de la pub ait quelque chose de mieux à nous offrir.»

Dans le troupeau de la nouvelle économie, Craigslist a tout d'un mouton noir. Ses bureaux sont situés à San Francisco, «loin du district financier», précise M. Newmark. Son nombre d'employés, 23, est ridicule comparé à celui des compétiteurs. Surtout si on considère que, selon la plupart des analystes, l'entreprise vaut aujourd'hui au-delà du milliard US. Et surtout parce que son fondateur a choisi de ne pas faire tout l'argent qu'il pourrait faire.

«Nous avons davantage l'esprit des premières générations qui ont façonné l'Internet, explique Craig Newmark, 54 ans. Nous voyons ce médium comme une manière de connecter les gens, et pas de faire de l'argent.»

Allez expliquer ça aux investisseurs, qui salivent à l'idée d'acheter une part de Craigslist. C'est ce qu'a tenté de faire au début du mois Jim Buckmaster, le PDG de l'entreprise, lors d'une conférence sur les nouveaux médias, à New York. Plusieurs analystes n'en croyaient pas leurs oreilles.

Alors qu'on lui demandait qu'elle était la stratégie de Craigslist afin de maximiser ses profits, le PDG, adepte du penseur américain Noam Chomsky, a eu cette simple réponse: «Nous n'en avons pas».

L'entreprise aurait toutefois des plans de croissance, même si M. Newmark n'a pas voulu le confirmer. Une nouvelle plate-forme serait en préparation en espagnol, afin de servir les villes hispanophones. Des sites seraient aussi en construction pour le milieu rural, puisqu'ils sont maintenant exclusivement urbains.

Mais il est clair que l'entreprise ne compte pas profiter de toutes les opportunités. «Des gens nous demandent souvent d'ouvrir des sites dans leur ville, dit le fondateur. Paris est la ville la plus en demande. Mais avec 23 employés, on ne peut pas tout faire.»

Le chemin parcouru est toutefois impressionnant. Craig Newmark a commencé en 1993 à envoyer une chaîne de lettres à ses amis, annonçant les événements culturels «alternatifs» dans la région de San Francisco. Vite pris de cours par la popularité de son service, il a ouvert des sites à Boston, New York, Los Angeles... Il a aussi laissé son emploi chez IBM, où il a travaillé pendant 17 ans.

«En 2000, j'ai engagé Jim Buckmaster pour diriger l'entreprise, je n'étais pas très bon à ça», dit-il. Mais l'arrivée d'un nouveau PDG n'a rien changé à la philosophie de l'entreprise, qui reste, selon le fondateur, dévouée à la communauté avant tout. Reste à savoir combien de temps Craig Newmark pourra résister à l'appel de l'argent. Selon lui, encore longtemps.

«Combien d'argent un gars a-t-il besoin de faire? demande-t-il. J'avais l'habitude de penser que tout ce dont j'avais besoin dans ma vie, c'était d'un garage. Maintenant, j'ai un garage. Je pourrais avoir une meilleure mangeoire pour les oiseaux, mais à part de ça, je n'ai besoin de rien.»