Il y a eu Arctic Monkeys, ce tout jeune groupe britannique propulsé par une rumeur favorable propagée sur Internet, l'hiver dernier. Puis il y a eu Nobody's Watching, une série américaine mise sur la tablette par la chaîne WB et récupérée par NBC après qu'elle eut obtenu un succès monstre sur le site YouTube. Tetesaclaques.tv, une création québécoise, fait souffler un vent de folie dans le cyberespace francophone. Épiphénomène ou recette d'avenir ?

Il y a eu Arctic Monkeys, ce tout jeune groupe britannique propulsé par une rumeur favorable propagée sur Internet, l'hiver dernier. Puis il y a eu Nobody's Watching, une série américaine mise sur la tablette par la chaîne WB et récupérée par NBC après qu'elle eut obtenu un succès monstre sur le site YouTube. Tetesaclaques.tv, une création québécoise, fait souffler un vent de folie dans le cyberespace francophone. Épiphénomène ou recette d'avenir ?

Il ne se passe pas une semaine sans qu'un collègue un peu moins débordé que les autres ne découvre un clip hilarant sur Internet. Le même phénomène se reproduit chaque fois: un petit groupe s'agglutine autour de son pupitre et on repasse la vidéo jusqu'à ce que tous les collègues travaillant dans un rayon de 10 m l'aient vue à leur tour. Oubliez la jasette aux toilettes et le potinage davant la machine à café, en ce début de XXIe siècle, c'est devant son écran d'ordinateur qu'on perd le plus de temps au boulot.

La semaine dernière, ce ne sont ni le dernier clip coréen en vogue sur YouTube ni le chat dansant diffusé sur MySpace qui ont été la source de ces attroupements rituels, mais des séquences animées du site Tetesaclaques.tv. L'une d'elle, savoureusement ironique, met en vedette un pilote d'avion pas très futé qui réclame des mesures d'urgence exceptionnelles en raison de la présence d'une lime à ongles dans son appareil. Une autre, moins spirituelle, montre une grenouille qui pète.

Têtes à claques (www.tetesaclaques.tv) est déjà un phénomène. La vingtaine de capsules animées qu'on retrouve sur ce site mis en ligne le 16 août ont déjà été vues par des milliers et des milliers d'internautes. Son créateur, Michel Beaudet, un concepteur publicitaire à l'aube de la quarantaine, affirme que Tetesaclaques.tv comptabilise déjà plus de 4 millions de «pages vues». La liste de diffusion associée au site compterait plus de 5000 adresses électroniques.

Le site Tetesaclaques.tv n'est pas seulement tombé dans l'oeil des internautes à la recherche de clips inusités, une foule d'acteurs du monde des médias, des communications et de la publicité auraient déjà manifesté de l'intérêt pour ces personnages animés qui se distinguent par leur regard ahuri et leurs dents croches. «Au bout de deux semaine d'activité, on recevait des offres tous les jours, dit leur créateur. C'en était étourdissant.»

Un vaste marché?

Philippe Le Roux, associé chez VDL2, une firme spécialisée en stratégie Internet, n'est pas étonné du vent de folie suscité par Teteseclaques.tv. «Il y a une grande demande de contenu audiovisuel de la part des internautes, observe-t-il. Il y a près de 3 millions de personnes qui surfent en haute vitesse au Québec. Pour tout contenu produit, il y a énormément de monde et très peu de concurrence.» La demande étant très forte et l'offre limitée, il suffit selon lui d'offrir un contenu «un tant soit peu intéressant» pour provoquer un phénomène de masse.

Étant issu du monde de la publicité, Michel Beaudet a rapidement vu le potentiel de sa création. «Je savais qu'il y avait un marché énorme en raison de la multiplication des écrans», admet-il. La durée des capsules qu'il crée, moins de trois minutes, lui laissait notamment entrevoir la possibilité de diffusion à la télévision ou sur les téléphones cellulaires. «Je l'avais envisagé, mais, même si je suis du genre optimiste, je ne m'attendais pas à ce que tout le monde m'appelle en un mois», précise-t-il.

«Le grand rêve de vendre du contenu vidéo sur téléphone cellulaire, on en entend parler depuis des années, mais en date d'aujourd'hui, c'est un gros flop», juge cependant Philippe Le Roux. Le même flop que le rêve qu'on avait il y a quelques années de voir les gens utiliser leur téléphone pour naviguer sur le web.» Un nombre marginal d'usagers le font, même si des milliards d'appareils sont techniquement capables d'accomplir une telle tâche.

Philippe Le Roux estime que la vidéo sur téléphone cellulaire ou baladeur numérique de type iPod demeurera un marché de niche. «On a des promoteurs, des gens de mise en marché et des technologues qui cherchent des raisons d'être à leur infrastructure, dit-il. La question, c'est: est-ce un besoin pour vous d'accéder à des contenus audiovisuels sur votre cellulaire?»

Et la télé?

M. Beaudet affirme que la création publicitaire, c'est fini pour lui: «Je n'en ferai plus jamais et je suis bien content.» Cet empressement à larguer son gagne-pain ne signifie pas qu'il s'apprête à signer n'importe quoi avec n'importe qui. «Pour le moment, j'écoute», dit-il, avec un calme étonnant, partagé aussi par ses collaborateurs Hugo Caron (webmestre et directeur artistique) et Simon Parizeau (monteur).

Un producteur télé l'a déjà approché lui disant qu'il allait embaucher une armée de scripteurs pour pondre des capsules. Michel Beaudet ne veut pas transformer son projet Têtes à claques en «usine à saucisses». Il tient à en garder le contrôle pour le moment. «Je veux continuer à écrire les capsules et à faire le comédien, dit-il. Je commence à définir l'univers que j'ai créé.»

Et si, au bout du compte, les personnages de Têtes à claques ne devaient apparaître qu'au petit écran, Michel Beaudet aurait au moins gagné du temps. Développer un projet pour un producteur télé aurait pris des années et il aurait fallu attendre des mois après la mise en ondes pour se faire remarquer. «Là, c'est instantané», constate-t-il.

Un accident de parcours

Concepteur publicitaire de métier, Michel Beaudet a créé Têtes à claques un peu par accident. Visiblement las du monde de la pub, dans lequel il évolue depuis une quinzaine d'années pendant lesquelles il a notamment dirigé la division création de l'agence Publicis, l'homme de 39 ans a eu envie de faire autre chose. «J'ai passé ma vie à avoir des idées pour les autres, je voulais en avoir pour moi», dit-il.

Inspiré par l'art des Tim Burton (Nightmare Before Christmas) et Nick Park (Chicken Run et Wallace & Gromit), il voulait faire de l'animation image par image. Il a créé des personnages de pâte à modeler et a constaté que de les faire parler, ce n'était rien de moins «qu'un job de moine». Il a opté pour un raccourci: intégrer sa bouche et ses yeux au visage de ses personnages. «Là, ils ont pris vie», se rappelle M. Beaudet.

Ses premières capsules humoristiques n'étaient que des tests basés sur des scripts un peu nonos écrits à la va-vite. Son objectif à moyen terme était plus noble: il comptait réaliser des clips éducatifs. «J'ai fait un DVD que j'ai montré à des amis, raconte-t-il. Ils m'ont dit que mes niaiseries étaient plus intéressantes.» Têtes à claques était né. Ne manquait plus qu'un site Internet pour le faire savoir.

Une identité propre

Il est facile de faire un rapprochement entre cet univers et celui d'un autre maître de la capsule humoristique, François Pérusse. En raison du traitement des voix, notamment. Au plan visuel, Têtes à claques possède toutefois une identité qui lui est propre: un corps en pâte à modeler, de vrais yeux, une vraie bouche et de fausses dents. L'esthétique est minimaliste et son côté mal léché évoque South Park.

Michel Beaudet se montre très enthousiaste devant toutes les possibilités offertes par la diffusion sur Internet. Il entend d'ailleurs faire du site Internet "le coeur" du projet Têtes à claques. Il se réjouit d'avance de pouvoir imaginer une aventure qui durera 10 minutes, même si la majorité de ses capsules en font moins de trois actuellement.

«La beauté de Têtes à claques, c'est que c'est à propos de tout et n'importe quoi. Il y a des personnages qui peuvent revenir d'une capsule à l'autre. Mais je ne ferai jamais une tête de Jean Charest ou d'autres personnages publics comme ça, prévient-il. Je ne veux pas coller à l'actualité, même si je peux m'en inspirer.»

Gérard D. Laflaque peut dormir tranquille.