«Son chum, elle l'a rencontré sur Internet».

«Son chum, elle l'a rencontré sur Internet».

S'il est devenu courant de tenter de rejoindre l'âme sœur par le biais de chat et autres passerelles électroniques, le coup de foudre tarderait pourtant à se déclarer. Beaucoup de romantiques internautes déchantent lors du premier tête-à-tête.

«Le passage enligne/hors ligne ne se passe pas sans heurts. Le plus souvent cela marque la fin de la relation», annonce Madeleine Pastinelli.

Surtout que le contexte encourage la multiplication des liens en ligne: pourquoi choisir celui-là alors que nous attendent neuf autres promesses de bonheur? Lorsque survient la rencontre, le décalage entre l'interlocuteur fantasmé et la réalité n'encourage pas à poursuivre l'échange.

«Les gens vivent dans le fantasme, les exigences sont plus élevées», explique cette ethnologue à l'Université Laval et auteure d'une thèse de doctorat intitulée «Le virtuel pour la conquête du réel».

Ce qui ne signifie pas qu'aucune histoire ne se tisse. Mais bien des relations qui s'ensuivent ne seraient pas pleinement désirées par l'internaute.

«Il est contraint à une volonté de cohérence», dit le Pr Pastinelli: les aspirants amoureux se sont racontés leur vie, se sont fait des promesses et même de véritables déclarations amoureuses en ligne; l'internaute doit donc assumer l'engagement ou rompre le lien.

À l'heure ou M et Mme tout le monde se branchent, il est devenu plus difficile de dresser un profil des amoureux des bancs électroniques (Réseau Contact, Compagnie.com, etc.).

Des étudiants jusqu'aux agriculteurs, ceux qui socialisent sur Internet ont souvent en commun d'être des célibataires avec beaucoup de temps libre.

«Les gens se branchent souvent plusieurs heures par semaine pendant des mois, voire des années», explique Madeleine Pastinelli. On trouve un grand nombre de travailleurs en région, d'employés saisonniers, de «nomades professionnels» et autres pigistes, mais aussi de nombreux monoparentaux. Ils ont en commun des occasions de rencontres plus rares (fréquents déplacements, isolement, contraintes familiales).

Ainsi, beaucoup de parents célibataires arpentent les sites de rencontres une fois que la marmaille dort! «Ils sont collés à la maison. À cela s'ajoute une plus grande précarité économique», affirme l'ethnologue. Autrement dit, socialiser serait «devenu un luxe dont la pauvreté limite l'accès».

Il est vrai que chatter offre une multitude d'avantages: le bassin d'individus avec qui socialiser parait presque infini, les échanges peuvent se produire n'importe quand dans la tranquillité de son salon.

Ceux qui ne se sont jamais livrés à ce genre d'échange pensent plutôt que dans ces réseaux de rencontres, «il n'y a que des obèses, des nerdz à lunettes...» C'est pourquoi la première expérience se teinte toujours de voyeurisme. «Ceux qui restent y découvrent autre chose», affirme même l'ethnologue. Comme elle le rapporte en détails dans sa thèse de 312 pages.

La 4e dimension

Entrer dans le web-rencontre, c'est pénétrer une zone où l'espace et le temps changent. «Ces personnes ne vivent pas seulement un fantasme mais passent plus de temps à échanger avec l'autre en ligne qu'avec leurs propres collègues ou amis», soutient l'ethnologue.

La connexion se superpose à la vie. La messagerie instantanée (chat) crée un lien intime offrant la possibilité de ne jamais rompre la conversation. Ou presque...

«On a l'impression que l'autre est toujours là pour soi».

Autre mythe: celui de l'âme sœur rencontrée à l'autre bout de la planète. En réalité, entre Canal France, Canal Montréal et même Canal Sherbrooke, la localisation géographique a suivi l'évolution du bassin des internautes. Aujourd'hui, les réseaux de rencontre ciblent plutôt les villes et même les banlieues.

Le passage d'une conversation planétaire à une conversation entre voisins a une profonde influence. «Comme on se rencontre plus, on s'investit moins qu'avant. Cela devient ni plus ni moins un espace où recruter un partenaire à rencontrer» explique l'ethnologue. La présentation de soi prend dès lors une importance démesurée. Avec la démocratisation de la technique, les photos cèdent le pas aux échanges en direct grâce aux webcams.

Dans mon salon

Plus facile, pour une ethnologue, d'étudier une population sans quitter son salon, plutôt que d'aller dans le grand Nord rencontrer les Inuit? Pas si sûr. La communauté de bavardage qu'elle a pénétrée existait depuis sept ans. Ces internautes se connaissaient bien et avaient comme règle de ne pas révéler d'informations personnelles sur les tiers. Ce qui a un peu compliqué le travail.

Elle a aussi connu beaucoup de rapports de séduction. «Aller chez quelqu'un que tu connais seulement à travers le web implique certains risques. Et comme femme, il a fallu que j'insiste pour que mes interlocuteurs comprennent que je n'étais pas là pour rencontrer l'homme de ma vie».

Ceci dit, «on se présente mais on ne dit rien à propos de soi», soutient l'ethnologue. Cette incapacité de communiquer dans un territoire de communication pure la fascine tellement qu'elle va s'atteler à analyser tous les messages et autres matériaux de recherche emmagasinés dans le ventre de son ordinateur.

De quoi passer encore de longues heures en tête-à-tête avec son ordinateur!