Suite au vote surprise des députés, les réactions se multiplient. Mais les amendements votés pourraient bien sauter lors d'une seconde lecture qui au départ ne devait pas exister...

Suite au vote surprise des députés, les réactions se multiplient. Mais les amendements votés pourraient bien sauter lors d'une seconde lecture qui au départ ne devait pas exister...

Le coup de théâtre en a surpris plus d'un. Dans la nuit de mercredi à jeudi, les députés PS et UDF ont contré les projets gouvernementaux visant à interdire l'échange de fichiers protégés sur les réseaux de P2P (à lire: Le P2P est légalisé en France).

Il s'agissait au départ de légitimer les protections techniques des supports, pénaliser leur contournement, même au titre de la copie privé.

Suite à la levée de boucliers suscitée par cet amendement, une majorité des députés présents en séance (30 contre 28!) ont adopté deux amendements similaires légalisant le téléchargement, pour un usage privé, de fichiers sur internet via les réseaux «peer to peer» en prévoyant en contrepartie une rémunération des ayants-droit (principe de la licence globale).

Personne ne s'attendait à un tel vote. Et certainement pas le gouvernement qui s'est fait «lâché» par l'UDF.

«Nous nous félicitons qu'une majorité à l'Assemblée se soit retrouvée autour de propositions du groupe PS visant à concilier la liberté et la responsabilité des internautes», écrit Jean-Marc Ayrault, président du groupe PS à l'Assemblée, et partisant d'une remise à plate du texte.

«Le débat prouve que le gouvernement s'est enfermé dans une logique sans issue», poursuit-il, en critiquant «un texte bâclé, présenté à la sauvette» et qui «n'est pas à la hauteur d'un tel sujet de société». Pour lui, «il est temps que le ministre comprenne que son texte est un bug irréparable».

Dans un communiqué publié jeudi, l'UFC-Que Choisir «salue la sagesse des députés qui ont choisi de légaliser le téléchargement de fichiers non verrouillés par des logiciels de cryptage (MTP ou DRM) sur les réseaux peer-to-peer».

«Cette législation va permettre aux internautes de s'approprier en toute sécurité juridique un espace de liberté nouveau essentiellement destiné à accéder à la diversité culturelle et aux créateurs d'être justement rémunérés», affirme-t-elle.

Soulagement ou danger?

L'Association des Audionautes, créée par des lycéens, «se réjouit» également de ce vote, soulignant qu'il est conforme aux «propositions (qu'elle a) développées» avec l'Alliance Public-Artistes, qui fédère des associations de consommateurs, certaines sociétés de gestion des droits des artistes et des syndicats. Cette Alliance défend l'instauration d'une «licence légale», prévoyant le paiement d'une redevance par les usagers des réseaux P2P.

Le Spedidam, une des associations d'artistes qui soutient le principe de licence globale s'est également félicié que les députés aient adopté ces deux amendements «accordant le bénéfice de l'exception pour copie privée aux copies réalisées par téléchargement sur les services de communication en ligne aux personnes physiques qui s'acquittent de la rémunération due aux ayants droit».

Ce vote «favorise une logique d'accès à la culture et de diversité culturelle face à la logique fortement répressive prônée par le gouvernement», a estimé de son côté Consommation, logement et cadre de vie (CLCV).

La Ligue Odebi, qui a fait circuler une pétition signée par 100 000 internautes, demande quant à elle «la démission du ministre Donnedieu, après ce désaveu cinglant qui lui a été infligé par la majorité des députés, au delà de tout clivage politique».

En revanche, la Sacem, organisme qui redistribue les droits aux auteurs se demande si on veut «tuer la création française». Et de de s'alarmer: «Prétendant s'exprimer pour la plupart au nom de la défense de créateurs qui n'ont pas été consultés, ces députés ont pris une position qui brade leurs droits en échange de l'octroi d'une aumône optionnelle. La France pourrait devenir demain la seule nation au monde qui »brade« et »soviétise« la création».

Le syndicat d'artistes-interprètes CFDT a réaffirmé son «opposition à la légalisation des échanges protégés sur l'Internet et à toute forme de gestion collective obligatoire qui serait imposée aux artistes interprètes sans leur accord». Une telle légalisation «signifierait la mort des industries musicales et audiovisuelles de notre pays», selon le syndicat.

De son côté, l'Union des Producteurs français indépendants (UPFI) a exprimé son «étonnement» après l'adoption de ces amendements, affirmant qu'«une très large majorité d'artistes (...) rejette l'idée d'une licence globale qui repose sur une approche strictement défensive et nuit à leurs intérêts fondamentaux» (voir encadré).

Passage en force?

Malgré la procédure d'urgence mise en place, qui limitait à une lecture l'examen du texte, le gouvernement a demandé une seconde lecture pour les deux amendements votés. Un second débat pourrait donc être organisé pendant la nuit de jeudi, ainsi qu'un nouveau vote. Cette demande du ministre de la Culture, Renaud Donnedieu de Vabres, irrite, notamment dans ses propres rangs.

«J'ai mes convictions, je les défends avec force au nom du gouvernement. Le gouvernement n'a pas d'état d'âme, il a pris une décision et il s'y maintient», a déclaré le ministre.

Bernard Accoyer, président du groupe UMP à l'Assemblée n'est pas de cet avis et a affirmé qu'il «n'était pas question de revenir» sur le vote. Il a rappelé à juste titre que l'Assemblée nationale n'était pas une simple chambre d'enregistrement dont la vocation était de valider les lois du gouvernement.

«Il faut approfondir le débat, laisser le temps nécessaire, écouter les nombreuses expressions, en particulier d'artistes et des créateurs, en tenir compte et à notre allure, le moment venu, pouvoir choisir et voter le meilleur texte possible», a-t-il ajouté.

Le gouvernement s'est fait avoir à son propre jeu. En imposant l'urgence et une seule lecure, il ne s'attendait pas au vote UDF, ni aux amendements des députés de sa propre famille. Sa précipitation à légiférer, en ignorant le premier vote des députés, en choquera plus d'un. En tentant désormais d'imposer un second débat alors qu'au départ, il n'en voulait pas, le gouvernement affiche ses intentions: le passage en force.