Avec ses photos carrées et ses filtres, Instagram s'impose comme un outil de promotion incontournable pour le monde de la mode, qui joue avec le caractère créatif et direct de ce réseau social, soulignent designers et experts au Festival d'Hyères.

«Ce matin, il y avait de la buée sur mon miroir de salle de bain, et j'ai fait un dessin. Je l'ai posté» sur le réseau, raconte le créateur Jean-Charles de Castelbajac, suivi par plus de 74 000 abonnés.

«C'est un peu l'équivalent de mon stylo ou de la craie. Mon Instagram, c'est l'autre côté de la mode, on y voit plutôt le processus de création», explique-t-il, lors d'une table ronde organisée par la Fédération française de la couture pendant le festival.

Les contrats qu'il signe pour des collaborations comportent d'ailleurs désormais des obligations de poster sur Instagram et Facebook, souligne-t-il.

«C'est devenu complètement inscrit dans une politique de publicité. Ça ne me dérange pas, ça me met dans la position de créer, de faire un ''post'' qui soit intéressant», dit encore le designer de 65 ans, qui publie en moyenne six photos par jour.

«Je me suis calmé parce que mes fils me disaient que j'en faisais trop. Je suis en train de me soigner!» sourit-il.

Même dépendance du côté du créateur de 25 ans Simon Porte Jacquemus, qui se distingue en publiant systématiquement des séries de trois photos: paysages, objets, portraits...

«J'avais envie que mon univers soit assez carré, c'est juste une question d'esthétique», explique le jeune homme, suivi par 155 000 abonnés et «drogué du téléphone».

Directeur artistique de Lacoste, Felipe Oliveira Baptista dit quant à lui se servir d'Instagram «comme d'un carnet», avec des dessins, des photos d'avions, les legos de ses enfants. Mais il regrette l'arrivée de la publicité.

«On est d'abord des commerçants»

Avec plus d'un million d'abonnés, Olivier Rousteing, le directeur artistique de Balmain, est le créateur français le plus suivi. Le secret de son compte? Des photos faisant la publicité de Balmain, mais aussi beaucoup de clichés personnels. Et de précieuses amies, comme Kim Kardashian (30,7 millions d'abonnés) ou Rihanna.

Le nombre d'abonnés est d'ailleurs un critère majeur pour définir les icônes et égéries de la mode, souligne Uche Pézard, spécialiste du luxe et des nouvelles technologies.

L'édition espagnole du magazine Vogue consacrait ainsi en avril sa couverture à la très photogénique blogueuse de mode Chiara Ferragni: «3,3 millions d'abonnés», titre le magazine sous la photo de la jeune femme, qui en a depuis gagné 300 000 de plus.

Les défilés eux-mêmes s'adaptent aux réseaux sociaux, parfois au détriment des vêtements, estime Jessica Michault, rédactrice en chef du site Nowfashion, citant le dernier show Kenzo, marqué par une spectaculaire mise en scène de grandes colonnes mobiles qui a retenu toute l'attention.

Sur les réseaux sociaux, les marques multiplient les initiatives à base de mots-clics pour faire participer le public. Comme Jimmy Choo, qui incite les femmes ayant choisi cette marque pour leurs chaussures de mariage à en publier des photos sur Instagram ou Twitter. Ou Chloé qui a choisi la plateforme WeChat, très populaire en Chine, pour lancer une campagne sur la «Chloé girl».

«Ce qu'on cherche, c'est que les gens viennent voir les sites, dans les magasins, achètent les produits, on est d'abord des commerçants!», rappelle Michel Campan, qui dirige une société de conseil en communication digitale pour les marques de luxe.

Tout abonné n'est pas forcément un consommateur. «C'est davantage un effet de notoriété, comme une page publicitaire, ce sont des gens qui n'achèteront peut-être jamais du Balmain, du Lacoste mais ils parlent de la marque», relève-t-il.

Cette hégémonie d'Instagram, lancé en 2010, est toutefois vouée à être éphémère, soulignent les intervenants: «D'ici un an on sera peut-être ici plutôt à parler de WeChat, ou Steller ou Snapchat, etc.», remarque Uche Pézard.

«Pour les créateurs ou maisons de luxe, ce n'est pas un problème, ils transfèrent leurs créations d'un réseau à un autre. C'est normal que les leaders d'opinion évoluent et se transforment, mais ça ne veut pas dire que le réseau existant va disparaitre», dit Michel Campan.