La start-up suédoise qui a révolutionné l'écoute de musique sur l'internet, Spotify, a une réponse quand on lui reproche de payer une misère aux chanteurs: «deux milliards de dollars».

C'est le montant que l'entreprise a reversé aux ayants droit (interprètes, compositeurs, producteurs, maison de disques...) dans les sept années qui ont suivi la création du numéro un mondial du «streaming».

D'après ses dirigeants, en démontrant que même les auditeurs qui refusent de payer rapportent quelque chose, le modèle a convaincu des sceptiques au sein de l'industrie musicale.

«On a expliqué qu'on voulait donner la musique pour pas un rond et ils ont pensé qu'on était dingues», se souvient l'un des premiers à lancer l'aventure, Jonathan Forster, aujourd'hui vice-président Europe.

«Deux milliards de dollars plus tard, espérons qu'ils ont un sentiment un peu plus positif là-dessus», affirme-t-il à l'AFP.

Premier salarié dans un modeste studio de Stockholm, il a aujourd'hui 1500 collègues. Le siège du groupe attire sur ses cinq étages de jeunes talents de la programmation de Suède et d'ailleurs.

Comme chez les géants de la Silicon Valley californienne, l'ambiance se veut décontractée: babyfoot, jeux vidéos, canapés où on échange ses idées.

Recul du piratage 

Spotify a dépassé 15 millions d'utilisateurs payants dans 58 pays. Contre 12,99 euros par mois (en France) ou 12,99 dollars (aux États-Unis ou au Canada) ils peuvent piocher à volonté dans un catalogue de plus de 30 millions de chansons. Les plus de 45 millions d'utilisateurs gratuits doivent écouter de la publicité.

Manque l'Américaine Taylor Swift, qui avait fait sensation en novembre en rompant son contrat. D'autres ont toujours refusé d'en signer un: Radiohead et son chanteur Thom Yorke, ennemi déclaré, AC/DC ou Aloe Blacc. Les Beatles sont une exclusivité d'un concurrent, l'américain Apple.

Les artistes qui s'estiment mal rémunérés sont un sujet sensible.

«Combien les pirates payaient aux artistes?», réplique M. Forster. Et de rappeler qu'en Suède, où Spotify a l'un de ses taux de pénétration les plus élevés au monde, le piratage recule depuis un pic en 2008, selon la Fondation de l'infrastructure internet suédoise.

Le groupe ne semble pas avoir atteint l'âge de raison où il posera ses valises et cessera son expansion mondiale, pour enfin dégager son premier bénéfice net.

«Je pense que nous pourrions avoir un service suédois de musique par abonnement très rentable aujourd'hui, mais ce n'est pas ce qu'on essaie de faire. Notre objectif est plus élevé», explique le vice-président Europe.

Il revient sur les deux milliards de dollars, et lance: «nous devons au minimum réfléchir à multiplier ce nombre par 10».

Manque de transparence 

Spotify a fort à faire s'il veut convertir tous les artistes à sa cause. Il a révélé en décembre qu'une écoute de chanson rapportait moins de 0,01 dollar en moyenne à l'industrie musicale.

Quelle part pour Eminem, le plus écouté d'entre eux, ou pour l'obscur groupe juste connu dans sa ville? Elle reste aussi difficile à connaître pour l'internaute que pour le client d'un disquaire, souligne un analyste du secteur, Mark Mulligan.

«La clause de confidentialité que Spotify signe avec les labels les empêche de pouvoir dire quelle est la valeur ajoutée reversée aux artistes», explique-t-il à l'AFP.

D'après une étude du cabinet Ernst & Young pour le Syndicat national de l'édition phonographique en France, les mison de disques empochent 46 % des abonnements au streaming, tandis que les auteurs, compositeurs, interprètes et éditeurs se partagent 17 %, à peu près autant que l'État. Les 21 % restants vont à Spotify ou ses concurrents, comme le français Deezer.

Les intermédiaires se taillent donc toujours la part du lion. Mais pour M. Forester, «c'est tout à fait crucial pour nous de travailler avec eux».

L'un des enjeux futurs pourrait être de les convaincre de rester chez Spotify si Apple, immensément plus riche, voulait multiplier les exclusivités pour doper son service concurrent, qui doit prendre le relais de la boutique iTunes.

Le Suédois garde son sang-froid face à ce géant. «Quand on cherchait à obtenir notre première série de licences, on nous a plus ou moins dit de ne pas nous embêter parce que Nokia et MySpace avaient tapé aux portes avant nous. Les grands groupes ne font pas forcément toujours les choses comme il faut».