Apple a conçu son service de paiement par téléphone intelligent pour les consommateurs, mais peut-être pas assez pour les commerçants: plusieurs grandes enseignes américaines préfèrent parier sur un autre système qu'elles espèrent mieux adapté à leurs besoins.

Le patron du groupe informatique, Tim Cook, s'est félicité cette semaine de l'intérêt manifesté par les consommateurs, avec plus d'un million de cartes de crédit activées sur les trois premiers jours suivant le lancement aux États-Unis, le 20 novembre.

Apple Pay a convaincu les principales banques américaines, les grands groupements de cartes comme Visa ou Mastercard, et des enseignes comme les grands magasins Macy's ou les restaurants rapides McDonald's.

Mais de grosses chaînes le boudent: les supermarchés Wal-Mart et Target, les magasins d'électronique Best Buy, les pharmacies CVS et Rite-Aid...

Apple Pay est pratique pour le consommateur «mais la valeur proposée aux commerçants n'est pas suffisante», explique à l'AFP Avivah Litan, une analyste du cabinet Gartner. Seuls certains comme McDonald's y trouvent un intérêt, car cela accélère les transactions et «chaque fraction de seconde a un effet sur les bénéfices».

Pour le commerçant moyen en revanche, «hormis l'avantage pour la marque de faire partie du système de paiement mobile dont on parle le plus aux États-Unis (l'intérêt) est limité», renchérit Denée Carrington, une experte de la société de recherche Forrester.

Réduire les frais des cartes

Beaucoup des enseignes refusant Apple Pay appartiennent au consortium MCX et se sont engagées à utiliser le système de paiements mobile concurrent qu'il prépare pour l'an prochain, CurrentC.

«L'objectif pour les commerçants était de créer un porte-monnaie électronique idéal pour eux, permettant de conserver le contrôle et d'optimiser l'utilisation des données concernant les clients, et de réduire les coûts des paiements», souligne Denée Carrington. Deux aspects qui manquent dans Apple Pay.

L'avantage premier de CurrentC pour les commerçants, c'est qu'il leur coûtera moins cher.

Andres Siefken, du cabinet de conseil en marketing Daymon Worldwide, souligne que «les commerçants opèrent avec des marges très faibles, et donc ils cherchent toujours à réduire les coûts». En particulier ceux représentés par les commissions facturées par les émetteurs de cartes de crédit, auxquels ils reversent généralement 2% à 3% du ticket de caisse. «S'il y a un moyen de contourner (ces frais), ils vont le faire», indique l'expert.

Et c'est bien ce qu'ambitionne CurrentC: les utilisateurs pourront y enregistrer une carte de crédit, mais aussi directement leur compte bancaire. «En se tournant directement vers la banque et en demandant aux consommateurs leurs coordonnées bancaires, (les commerçants) dépensent encore de l'argent dans la procédure, mais certainement pas 3%», fait valoir Andres Siefken.

Apple Pay au contraire «est complètement aligné sur Visa et Mastercard», note Avivah Litan. C'est un moyen simplifié de payer par carte, et les commerçants reversent les mêmes frais à leurs émetteurs.

L'enjeu est à la taille du futur marché mondial des paiements mobiles, qui pourrait peser 85 milliards de dollars en 2018 dont 13 milliards aux États-Unis, selon une estimation de Strategy Analytics.

Données trop protégées

La protection des données est l'autre handicap d'Apple Pay pour les commerçants: ils n'accèdent pas aux informations sur les cartes de crédit de leurs clients. Cela limite les risques de piratage, illustrés sur l'année écoulée par des attaques médiatisées contre Target ou eBay. Cela signifie aussi que le commerçant n'enregistre pas qui achète quoi, des données importantes pour fidéliser ses clients.

Un porte-parole de Wal-Mart reconnaît d'ailleurs qu'un avantage de CurrentC, c'est son intégration avec les programmes de fidélité des enseignes.

Comme Apple Pay, MCX promet des garanties contre la fraude, un argument toutefois ébranlé cette semaine par l'aveu d'un piratage de certains comptes pilotes.

Il aura en revanche un vrai avantage d'échelle: CurrentC fonctionnera sur «n'importe quel téléphone», quand Apple Pay se limite aux tout derniers modèles d'iPhone (6 et 6 Plus), soit «un petit groupe de personnes à revenus élevés», résume Bob O'Donnell, du cabinet IDC.

Au final toutefois, «la demande des consommateurs jouera aussi», note Denée Carrington. «L'idéal serait d'avoir les deux plateformes» et qu'ils puissent payer avec celle qu'ils veulent, juge aussi Andres Siefken.