IBM France fête mercredi son centenaire, jalonné de revirements stratégiques qui ont transformé le mastodonte de l'informatique en une entreprise de services, lui évitant la disparition mais réduisant par trois ses effectifs dans l'Hexagone depuis les années 1990.

Les cent ans seront célébrés tout au long de l'année, mais IBM a arrêté symboliquement la date du 16 avril qui marque l'invention (en 1955) du mot «ordinateur» par un professeur de la Sorbonne, à la demande d'IBM France pour traduire «computer».

«En 1914, IBM était une PME américaine qui essayait de travailler à l'international et lançait à Paris son premier bureau à l'étranger», résume à l'AFP Alain Bénichou, président d'IBM France depuis 2010.

Pendant plusieurs décennies, International Business Machines - surnommé «Big Blue» - sera l'un des géants mondiaux de l'informatique et multipliera les innovations - machine à calculer, ordinateur central, langage informatique, disquette, etc.

Puis arrivent les années 1980, avec l'explosion du marché informatique et l'arrivée de concurrents plus flexibles.

Les déficits s'accumulent pour IBM: «en 1992, on a eu une expérience de mort imminente. Mais elle a renforcé nos défenses immunitaires», estime M. Bénichou. L'entreprise commence alors une longue mue: «alors qu'elle ne faisait que des ordinateurs, elle est devenue une entreprise de services, de logiciels et d'immatériel».

Aujourd'hui, les mots-clé sont «big data» et surtout «cloud computing» (informatique en nuage): «fin 2015, 45% de la dépense informatique en France sera dans le domaine du 'cloud', contre 5% aujourd'hui», fait valoir Alain Bénichou.

«Plus qu'une transformation c'est une révolution, nous sommes en train de changer complètement le métier des salariés. La moitié d'entre eux doit se consacrer à ces nouveaux domaines de l'entreprise digitale. On le fait en recrutant de nouveaux talents, en adaptant nos 'IBMers' (surnom donné en interne aux employés d'IBM, NDLR). Et quand on n'arrive pas à transformer un inspecteur de 'maintenance hardware en data-scientist' (soit expert en gestion de données), on est obligés d'offrir des plans de départs volontaires», souligne le président.

Mais, assure-t-il, «les effectifs sont absolument constants. Nous allons aussi créer beaucoup d'emplois dans le cloud».

«L'esprit IBM a disparu»

IBM France a compté jusqu'à 26 000 salariés dans les années 1990, contre moins de 9.000 salariés actifs actuellement. Le dernier plan de restructuration en cours se fera sans licenciements, les candidats au départ étant plus nombreux que les postes supprimés.

«La direction s'est engagée à remplacer ces départs-là. Ce n'est pas extraordinaire mais vu ce qu'on a vécu, c'est peut-être l'hirondelle qui fait le printemps. Entre les différents plans, les démissions et les départs naturels, 1.300 personnes sont déjà parties depuis janvier 2013», calcule Pierry Poquet, délégué central UNSA, premier syndicat chez IBM.

Il évoque «la perte de confiance en l'avenir. Il y avait un esprit, un collectif de travail qui a disparu», ajoute cet «IBMer» entré en 1993, qui distingue «les 'Dark Blue', les anciens qui pleurent sur la boîte qu'ils ont connue, et les nouveaux, les 'Light Blue'».

«Il y a beaucoup de démissions, les anciens n'en peuvent plus et les jeunes ne veulent pas rester. Les services sont désorganisés, nous sommes ballottés entre les réorganisations, c'est la débandade de l'entreprise que j'ai intégrée en 1983», déplore Régine Delebassée (CGT).

L'«âge d'or», Gérard Chameau, délégué central CFDT, l'a connu en entrant chez IBM France en 1968. «Il y avait un côté paternaliste, un respect pour les salariés qui a totalement disparu. J'ai vécu le basculement: des financiers ont pris la place des directeurs informatiques, on ne parlait plus le même langage. Le seul leitmotiv était, combien vous donnez aux actionnaires? Aujourd'hui on est au paroxysme de cette doctrine», juge-t-il.

«La boîte où je suis rentrée vendait des machines à écrire, et maintenant il faut parler 'cloud', 'analytics' et 'big data'. Je pense que la direction a la capacité de rebondir, mais combien va-t-il rester de personnes en France?», s'inquiète Marie-Armel Lombart (UNSA).

«Je ne suis pas juste un patron de succursale, un commercial, j'ai mon mot à dire», se défend Alain Bénichou concernant la marge de manoeuvre dont il dispose par rapport à la stratégie dictée par la direction américaine. «Mais nous avons des actionnaires, nous leur rendons des comptes et devons démontrer la pertinence de nos investissements», admet-il.