S'il y a un secteur dans lequel l'auto-quantification aura un impact au cours des prochaines années, c'est sans doute celui de la santé. En effet, chaque patient qui s'auto-quantifie est en possession d'un grand nombre de données qui peuvent s'avérer utiles lorsque vient le temps d'établir un diagnostic ou de choisir un traitement. Grâce à l'internet, ces gens ont également accès à une quantité infinie d'informations, fiables et moins fiables. Selon une étude réalisée par le Pew Internet and American Life Project, 80% des internautes ont déjà cherché de l'information sur des maladies ou des traitements, et ce, avant même d'avoir rencontré leur médecin, une pratique qui s'observe aussi au Canada. L'auteure de l'étude, Suzanna Fox, précise que les gens consultent l'internet avant et après leur rendez-vous chez le médecin. Ils cherchent de l'information sur des maladies chroniques ou encore, sur les différents traitements possibles.

Cette abondance d'information sur soi, jumelée à la popularité de l'internet et des réseaux sociaux, a donné naissance à plusieurs sites «citoyens» consacrés à la santé. Un exemple: curetogether.com, fondé en Californie par Alexandra Carmichael, qui compte une dizaine de milliers de membres qui partagent leur expérience de symptômes et de traitements. D'autres sites comme Patients Like Me (patientslikeme.com), fondé en 2004, s'intéressent à la maladie de Parkinson, la sclérose en plaques et, plus récemment, aux problèmes de santé mentale. Grâce à la quantité et à la qualité de l'information générée par ces communautés, des patients ont réussi à faire modifier leur traitement auprès de leur médecin.

Bref, les patients sont informés, une nouvelle réalité à laquelle les médecins doivent de plus en plus souvent faire face.

Le milieu médical saura-t-il s'adapter? Vincent Dumez dirige le bureau facultaire d'expertise patient-médecin de l'Université de Montréal. Son travail consiste justement à revoir la formation afin d'y inclure de nouvelles connaissances sur la relation patient-médecin et d'intégrer les personnes malades dans le processus de soins. «Nous voulons réintroduire la notion de partenariat dans le programme de médecine, note-t-il. On prend en compte le fait que les gens sont beaucoup plus informés qu'avant sur leur état, qu'ils ont fait leur recherche, etc. La relation paternaliste médecin-patient ne tient plus dans ce contexte.»

Est-ce à dire que nous allons tous devenir gestionnaires de notre dossier santé? D'une certaine façon, oui. Et si nous le souhaitons, nous pouvons nous engager davantage. Le fondateur du mouvement Quantified Self, Gary Wolf, estime quant à lui que l'auto-quantification est un outil de connaissance personnelle qui n'a pas de limites. «Le sport, la santé, le sommeil... bien sûr, mais aussi la productivité, les émotions, les relations familiales et personnelles. Tout ce qui vous intéresse dans la vie peut être monitoré. Actuellement il y a quelqu'un qui mène une expérience durant laquelle il monitore le silence... en répertoriant les endroits silencieux dans le monde. Nous sommes déjà surveillés par les autres, que ce soit sur notre situation géographique, nos dépenses ou nos déplacements. Pourquoi ne pas nous observer nous-mêmes si cela permet de mieux nous connaître?»