Elles achètent autant de téléphones et de tablettes que les hommes. Sur les réseaux sociaux, elles sont en majorité. Pourtant, les femmes sont quasi absentes du domaine de l'informatique. Qu'est-ce qui les empêche de faire le saut?

L'été dernier, Shannon Smith en a eu assez . Un festival web montréalais a annoncé une programmation comprenant une minorité de femmes. Peu après, un nouvel incubateur d'entreprises technologiques a dévoilé les mentors qui allaient superviser de jeunes entrepreneurs. Aucune femme ne faisait partie du lot.

La développeuse web a pris le clavier pour dénoncer la situation, déplorant sur son blogue la «discrimination peu subtile» dans le milieu des entreprises en démarrage.

Il n'en fallait pas davantage pour raviver la question sensible de la place des femmes dans le milieu des technologies. De la «frustration» au «sexisme», en passant par l'«exclusion», les mots de ceux et celles qui ont contribué au débat étaient chargés de sens.

«Les commentaires sur mon blogue ne sont que la pointe de l'iceberg. Les gens m'en parlent, m'envoient des courriels. Ça a suscité des discussions», dit Shannon Smith.

Les femmes dans le milieu des technologies sont rares. Moins de 10% des entrepreneurs du milieu technologique sont des femmes. À l'Université du Québec à Montréal comme à l'École polytechnique, elles n'étaient que 9% à faire partie du programme de baccalauréat en informatique, l'hiver dernier.

«On a du mal à attirer des femmes, admet Brigitte Kerhervé en poussant un soupir. Mais ce n'est pas un problème seulement québécois ou canadien.»

Comme plusieurs, la directrice du baccalauréat en informatique et génie logiciel à l'UQAM croit que le milieu des technologies a un problème d'image.

«On a l'image du nerd dans son sous-sol, avec sa pointe de pizza et ses grosses lunettes. Les gens ont l'impression qu'il s'agit d'un métier peu relationnel, très technique et scientifique. C'est une fausse image du métier d'informaticien», dit-elle.

Auteure de nombreux rapports sur les femmes et la technologie, Denise Shortt pense également que l'informatique et les nouvelles technologies ont un important problème de marketing.

«On doit dire aux femmes qu'il ne faut pas nécessairement avoir un diplôme d'ingénieur et savoir programmer pour faire carrière dans les technologies. On peut prendre un chemin différent pour y arriver», dit celle qui s'est penchée sur la question dans le cadre de ses études à l'Université Harvard et au Massachusetts Institute of Technology.

La réalité pas toujours rose des «5%»

Isabelle A. Melnick a appris à programmer à l'âge de 12 ans sur un TRS 80 acheté par ses parents. Presque 30 ans plus tard, elle exerce le métier de programmeuse analyste principale. «On dit qu'il y a environ 5% de femmes dans le domaine de l'informatique. Quand je me présente dans une entreprise, les 5%, c'est souvent moi», dit-elle.

Travailleuse autonome, la Montréalaise affirme d'emblée que chacun de ses milieux de travail est différent, mais qu'elle se sent souvent «scrutée à la loupe» par ses collègues masculins. «C'est une impression, on sent que dans chaque question qu'on nous pose, il y a une forme de test.» Shannon Smith croit que la faible présence des femmes dans le milieu engendre des comportements qui, autrement, n'auraient pas leur place.

«Ce qui est considéré comme normal dans le milieu n'est pas nécessairement normal dans le reste de la société. Par exemple, les gens ne vont rien dire si, dans une présentation, il y a plein de femmes à moitié nues, même si ça n'a rien à voir avec le sujet. Dans beaucoup d'autres milieux, ça ne passerait pas.»

Une attitude le plus souvent inconsciente, selon la développeuse web. «Ce qui ne veut pas dire que c'est acceptable. Il y a tellement peu de femmes que la situation perdure. Il n'y a personne pour dire: «Hey, ça ne va pas!»», déplore Shannon Smith.

Si elle a enduré les blagues à son égard au début de sa carrière, Isabelle A. Melnick ne les tolère plus. «J'avais tendance à rire avec la gang, mais il ne faut pas endurer ça.»

L'auteure du livre Technology with Curves croit qu'un changement de culture s'impose.

«Les hommes ne voient peut-être pas que les femmes dans leur milieu se sentent délaissées. Les employeurs doivent penser à la culture interne de leur entreprise. Si on emploie surtout des hommes, on ne réalise peut-être pas que notre activité de baseball n'attire pas les femmes», dit Denise Shortt.

Peu de femmes, et après?

Entrepreneure renommée dans le milieu du web, Tara Hunt dit qu'être une femme comporte également ses avantages. «Ça nous permet de faire partie des palmarès des femmes les plus influentes en technologie », dit elle en riant.

Mais elle estime que la faible présence des femmes, en développement notamment, pourrait à terme causer des problèmes.

«Il y a de plus en plus d'entreprises et d'applications qui créent des produits destinés aux femmes. Il faut que ces gens comprennent leur public. Si l'équipe derrière un produit n'est constituée que d'hommes, elle risque de passer à côté de sa cible», ditelle.

La responsabilité d'attirer les jeunes femmes dans l 'industrie technologique incombe à tous, argue Denise Shortt. Leur présence dans les technologies a dépassé la simple question de l'égalité pour devenir une question économique.

«C'est une question d'avantage concurrentiel. Notre pays doit cultiver la prochaine génération de travailleurs qualifiés, surtout que nous savons que l'industrie des technologies touche à tous les domaines. Il commence déjà à être trop tard», dit-elle.

Coorganisatrice des Montreal Girl Geeks, regroupement de femmes qui s'intéressent à la technologie, Sandy Sidhu note que maintenant que la technologie fait partie intégrante de nos vies, les femmes doivent être plus présentes que jamais.

«C'est important si nous ne voulons pas être laissées en plan et si nous souhaitons avoir un mot à dire là où les décisions sont prises. Sinon, nos intérêts ne seront pas entendus.»