Neuf ans de sanctions américaines contre Microsoft ont pris fin la semaine dernière aux États-Unis, sans que les experts s'accordent à dire si ce sont elles ou si c'est l'évolution naturelle des technologies qui a permis l'essor de nouveaux géants comme Apple et Google.

«Pour moi, il est tout à fait logique que le ministère de la Justice (américain) ait mis fin à ses (sanctions), car Microsoft est vraiment menacé sur plusieurs fronts maintenant», note l'analyste de Forrester Research Frank Gillett.

Aujourd'hui, le navigateur (logiciel d'accès à internet) de Microsoft, Internet Explorer, n'a plus que 55% de part de marché, selon le cabinet NetMarketShare. En 2002, cette part était évaluée à 95%.

Entre-temps, Firefox, de la fondation Mozilla, puis Chrome, de Google, lui ont taillé de larges croupières (22% et 12% aujourd'hui).

Alors, les sanctions ont-elles été efficaces? «Je comprends que le ministère» le revendique, déclare John Lopatka, professeur de droit à l'Université Penn State et co-auteur d'un livre paru en 2007 sur le dossier antitrust de Microsoft.

Pour autant, «mon opinion personnelle c'est que le jugement (de 2002) n'a pas eu d'impact majeur sur l'environnement concurrentiel», ajoute M. Lopatka.

Google était déjà en plein essor en 2002, Apple avait déjà lancé le premier baladeur iPod: les prémisses des succès phénoménaux des grands concurrents actuels de Microsoft étaient là avant que la justice s'en mêle.

«Google aurait émergé. Les innovations d'Apple, l'ascendance de l'iPod, la plus grande importance des smartphones: je ne crois pas que tout ceci soit dû au jugement», ajoute M. Lopatka.

«Toute la notion de l'ordinateur a changé, il ne s'agit plus seulement de PC», renchérit M. Gillett, pour qui «la montée en puissance d'Apple et l'importance des smartphones et des tablettes a joué un grand rôle dans l'histoire».

Par ailleurs, tant Microsoft que les autorités ont dû consacrer d'énormes ressources pour vérifier le respect des sanctions imposées, et notamment l'interopérabilité des systèmes Microsoft avec ceux de ses concurrents.

«Si le jugement a conduit Microsoft à être un peu moins fonceur sur ses propres innovations, ce n'est pas une bonne chose», estime M. Lopatka.

Un co-auteur de M. Lopatka, William Page, professeur à l'Université de Floride, souligne que les longues procédures de vérification imposées pendant neuf ans à Microsoft étaient «déconnectées de la réalité du marché».

Depuis, les poursuites antitrust lancées contre le géant des microprocesseurs Intel, par exemple, ont débouché sur des sanctions plus terre à terre (amendes et dédommagements), et peut-être tout aussi efficaces, à voir les gains de ses rivaux AMD ou Nvidia.

De quoi, selon M. Page, prouver que «les remèdes antitrust sont vraiment efficaces pour empêcher des activités illégales».

Mais «c'est un problème quand la justice joue un rôle de régulateur, prédit l'avenir de la technologie et supervise les compagnies» en les forçant à des procédures tâtillones «dont le marché n'a pas vraiment besoin», ajoute-t-il.

Certains estiment pourtant que les autorités ont peut-être évité le pire, en interdisant à Microsoft d'abuser de la position dominante de Windows pour le coupler à tous ses autres logiciels, dissuadant les consommateurs de choisir des programmes rivaux comme le navigateur concurrent Navigator de Netscape.

«Avec Netscape c'était la première fois que (Microsoft) voyait une vraie menace pour son empire, et il a réagi», rappelle Randal Picker, professeur de droit à l'Université de Chicago.

«Supposons que (Microsoft) ait empêché Google d'empiéter sur Internet Explorer: où en serions-nous maintenant?».